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Sur l’organisation du travail – Notes de recherche du 9 décembre 2016 – Cycle Travail N°2

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Cycle Travail N° 2

Avec ce cycle travail N° 2, nous nous donnons comme point de départ le brassage sémantique que nous avons fait collectivement à la séance N°1.

C’est à dire une histoire de la naissance du concept de travail au travers de différentes phases historiques contradictoires, notamment décrites par Dominique Meda :

  • Une phase pré-capitaliste où le « travail » n’existe pas en tant que tel, même s’il existe des tâches, des métiers, des activités…

  • Une phase capitaliste et industrielle où le concept de travail apparaît. Il est alors considéré comme moyen de production. Il devient donc détaché de la personne (il s’achète, se vend, se comptabilise). C’est à ce moment là que l’on invente le travail abstrait (détaché de celui qui le met en œuvre, il devient un produit que l’on échange sur un marché) en le distinguant du travail concret (l’activité en soi). Dès lors, Smith estime que la société se pacifie grâce au travail car il serait le seul moyen d’atteindre l’équilibre « rétribution-contribution », au niveau personnel et au niveau social. Le travail dans cette perspective reste dégradant, générateur de souffrance, ce n’est qu’un moyen pour atteindre un autre but.

  • Une phase Marxienne où le travail est considéré comme vertueux, comme essence de l’homme (Marx + Hegel). Il n’est plus souffrance mais réalisation de soi et réalisation du monde humain. Sauf que pour Marx le travail réel est aliéné (au service du capitaliste qui a seul le pouvoir de recourir au lien salarial), il fallait donc d’après lui abolir le salariat pour retrouver l’essence libératrice du travail.

  • Une phase de société salariale, où l’on attribue un statut de salarié, et tout un ensemble de droits sociaux (retraite, assurance maladie, assurance chômage, droit du travail…). C’est à ce moment là (19ème siècle) que l’on invente donc l’emploi (comme l’ensemble des droits attachés au contrat de travail, telles les contreparties ou compensations du lien de subordination auquel se plie le salarié). On oublie à ce moment la condition posée par Marx pour désaliéner le travail : sortir du lien salarial.

Un des premiers points qui nous semble déterminant, est que ces phases historiques définissant le travail sont encore toutes présentes dans le travail tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Les distinctions travail abstrait / travail concret, et emploi / travail sont donc essentielles, tout comme la « société salariale » ou l’équilibre « rétribution-contribution ». Ainsi, par la suite, quand nous utilisons le terme générique de « travail » par commodité de langage, c’est bien à cette histoire multiple là et à ces nuances parfois contradictoires que nous faisons référence.

Ce cycle travail N°2 est une manière de préparer les séances suivantes, en abordant les problématiques liées au management et aux organisations du travail en général, afin de se doter d’outils d’analyses du fonctionnement des organisations, qui dépassent le contexte capitaliste.

Le but étant à terme d’échanger sur les modalités et finalités des organisations autogestionnaires du travail, sur les expérimentations en cours, sur les tentatives qui désertent le monde économique tel que nous le connaissons (Cycle Travail N°3). Or dans ces expérimentations là, les problématiques d’organisation du travail demeurent, ce qui nous fait poser l’hypothèse suivante : l’aliénation au travail et le mal-être généré par les organisations, ne sont peut-être pas propres au contexte capitaliste. Du moins, si elles restent quelque part liées à l’environnement et à la culture capitaliste, nous semblons avoir du mal à nous en défaire.

Partant de cette hypothèse là, nous avons choisi plusieurs écrits et théories d’auteurs qui se sont plongés dans les organisations du travail pour en comprendre les enjeux. Ce travail de recherche est un outil d’autoformation collective à l’analyse du fonctionnement de nos organisations, aussi subversives soient-elles.

Au-delà de nos tentatives relativement isolées d’organisations autogestionnaires potentiellement atteintes des mêmes problématiques liées à des formes intériorisées de management et de rapport au travail aliéné, nous émettons une deuxième hypothèse : si notre contexte économique social et politique entier était revu (à l’image des propositions dont on entend beaucoup parler, de Bernard Friot au sujet du salaire à vie, ou celle de Frédéric Lordon sur la Ré-Commune, ou celle du Comité Invisible avec l’auto-organisation des Communes ou le communisme immédiat), il est probable que persiste encore des problématiques organisationnelles profondes, quand bien même la logique surplombante d’un nouveau système ne serait plus celle du capitalisme, mais celle d’un nouveau contexte non capitaliste ou non économiste, voir non systémique. Car aucune de ces perspectives ne se passe de la production. Et donc persisterait la question de son organisation au moment venu.

Notre rapport au travail ou à l’action, leur sens et l’effort qu’ils demandent, ne pourront être envisagés dans une logique autre que l’actuelle, qu’à condition d’avoir bien distancié (c’est à dire analysé et repoussé comme objet potentiellement indésirable) ce qui anime actuellement le travail tel qu’il est.

Entre autres, ses organisations…

NOTES DE RECHERCHES – Cycle travail N°2 – 9 décembre 2016

ORGANISATIONS DU TRAVAIL

Et

TRAVAIL DES ORGANISATIONS

La souffrance au travail et les risques dits « psychosociaux » sont devenues des problématiques récurrentes qui souvent empêchent de penser les problèmes organisationnels et économiques. Car justement, elles sont en partie due à la négation des problèmes présents dans les organisations. Les individus sont généralement remis en question, alors que les problématiques de la place du travail dans la société et de la finalité des organisations, ne sont jamais envisagées. Il est plus aisé de remettre en question l’individu participant à l’organisation, que l’organisation elle-même.

D’après Vincent De Gaulejac (« Travail, les raison de la colère » 2011) cette négation des problèmes organisationnels revient à ce que les anglo-saxons appellent le « positive thinking », c’est l’idée qu’il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions.

Un exemple:

Un médecin de la SNCF, a monté son observatoire du stress à force de constater ce mal croissant chez les employés. Il a fait des statistiques, essayé de trouver les causes explicatives et a fait un rapport au directeur. Ce médecin agissait dans le but d’améliorer les conditions de travail de son entreprise, et de rendre la production du service public plus humaine.

Le directeur a saisi le conseil de l’ordre de la SNCF, en accusant le médecin de se mêler de ce qui ne le regarde pas, c’est à dire d’obstruction et de zèle.

Le conseil de l’ordre n’a pas statué complètement dans le sens du directeur, mais le médecin a été obligé de stopper ses recherches. Il a subit beaucoup de pression et a choisi de démissionner car selon lui sa santé mentale était en jeu.

Les responsables de la SNCF n’acceptaient donc pas les questionnements s’appuyant sur des tendances générales, des « lois sociales », des statistiques, quand ils vont à l’encontre de l’organisation. Car selon eux (à l’image des dirigeants de Renault ou PSA), le problème du stress tient aux fragilités psychologiques des personnes et non à des effets systémiques. C’est d’ailleurs ce qui a été renvoyé à ce médecin, qui « faisait du zèle » et qui dépassait le cadre de ses fonctions, donc, qui avait un problème d’ordre personnel d’adaptation à l’organisation.

Selon De Gaulejac, nous nous devons donc de travailler sur les problèmes d’ordre social et organisationnel, qui dépassent ceux des individus pris isolément, et que la sociologie du travail et celle des organisations soulèvent. Pour éviter la négation des problématiques sociales, qui dépassent l’aspect individuel, psychologique et personnel du travailleur, qui s’avère souvent contre-productive et génératrice de souffrance, nous allons évoquer ce qui va mal à l’échelle organisationnelle, et on va essayer d’en expliquer les causes.

I/ Une histoire du travail au travers de ses organisations

Touraine dans « Sociologie de l’action » (1965) et quelques années plus tard dans « Production de la société » (l973), observe un mouvement de dégradation de l’organisation du travail, notamment la disparition du « métier » :

Jusqu’au 17ème siècle, une organisation traditionnelle ou professionnelle du travail dominait, elle était caractérisée par :

  • la compétence et le savoir faire de l’ouvrier (il possède un métier)

  • l’absence de contrôle sur son rythme de travail, mis à part sa conscience professionnelle.

  • Un travail organisé par un chef d’atelier qui est l’ouvrier le plus ancien, le plus d’expérimenté.

Les révolutions industrielles et le développement de la rationalité Tayloriste, particulièrement expérimentée pendant la guerre de 14-18 (Cf. Alain Supiot), puis la production automatisée des années 70, ont en grande partie détruit la notion de métier selon lui.

Nous allons affiner cette projection là, en dépassant la nostalgie de la fin du métier et en cherchant la transformation de notre rapport au travail dans l’évolution des méthodes de management. En gardant en tête que toutes ces phases restent encore simultanément actives dans nos organisations.

A/ l’organisation Scientifique du Travail (OST)

(Taylor, 1911 « les principes du management scientifique »)

1/ Rationaliser le processus de production

Taylor constate que les employés « flânent » car s’ils produisent plus, ils ont peur que les chefs leur demandent de garder ce niveau de production, sans être payés d’avantage. Ils sont méfiants et protègent leurs intérêts.

Taylor veut trouver des solutions pour éviter la « flânerie » donc il faut rationaliser les tâches (limiter les déplacements, rapprocher la machine de l’homme, faciliter l’ergonomie)

On opère donc la division horizontale du travail (fractionnement des tâches en plein de petites taches faciles, rapides…)

Pour occuper au maximum le travailleur, on fera des fiches techniques décrivant les postes, les procédés parfaits, et le temps d’exécution nécessaire pour une tâche.

Il faut aussi rendre le travail plus fonctionnel en le pensant de manière plus ergonomique.

Donc cela nécessite de faire en sorte de limiter les efforts, les gestes inutiles.

Ce n’est donc pas encore une direction par objectif. Avant tout, c’est une direction par les moyens. On demande de mettre en œuvre des moyens spécifiques, pour arriver aux résultats. Le chef est là car il connaît très bien le procédé à suivre et fait en sorte de le communiquer à l’employé qu’il surveille. C’est une pensée technique de l’organisation. (Et non une pensée sociale ou humaine de l’organisation)

Il faut par ailleurs sélectionner l’ouvrier de manière scientifique (selon que le poste nécessite d’être fort, d’être agile de ses mains, il faudra recruter un individu adapté à l’ergonomie de l’atelier…).

2/ Une dimension sociale: le principe d’équité des gains.

Il y a une dimension qui n’est pas uniquement techniciste, mais aussi sociale chez Taylor.

On parle peu de cette dimension car elle n’a jamais été appliquée en pratique, mais elle fait pourtant l’objet de toute l’attention de Taylor, qui voit dans l’aspect social la clé de la réussite taylorienne.

Le salaire:

En OST, on produit plus avec moins, donc à chaque rendement supérieur, le salaire des ouvriers doit être majoré. D’après Taylor, y a une réconciliation possible entre ouvriers et patrons dans la mesure où ils partagent les mêmes intérêts.

La santé:

Conformément à son principe d’ergonomie, Taylor estime que l’exécution des tâches doit être préparée soigneusement de manière à ne pas être nuisible à la santé ; les tâches doivent pouvoir être exécutées par les ouvriers pendant des années sans crainte de surmenage.

3/Le principe du contrôle

Il faut suivre chaque ouvrier de près pour s’assurer que le travail soit bien fait.

Enfin il faut une division verticale du travail (séparation exécution-conception), avec un management identifié et respecté par les échelons inférieurs

L’autorité patronale doit être reconnue puisque basée sur la science. D’un côté, les ouvriers sont reconnus pour leurs compétences techniques. De l’autre côté, l’autorité du patronat est reconnue puisqu’elle se base sur la science.

4/ Contre-productivité du Taylorisme

L’aspect humain n’est jamais appliqué en pratique. Le taylorisme effectivement mis en place dans les usines et pratiqué encore aujourd’hui, nie le facteur social en isolant les individus à leurs postes.

Par ailleurs, on appauvrit le travail en aliénant l’ouvrier assujetti à une fonction partielle qu’il ne maîtrise pas totalement, et dont il ne connaît la réelle finalité.

Comme il ne maîtrise ni son temps ni son travail (qui est contrôlé), l’ouvrier n’a pas conscience de ce qui est produit au bout de la chaîne. Ce qui provoque perte de sens, monotonie, passivité, et contrôle… et ceux-ci sont difficilement vécus.

Résultat, après une grande période d’expansion et de croissance une contre-productivité forte est apparue, tout comme l’absentéisme. Les rendements baissent fortement, par manque de prise en compte du social.

Critique de Georges Friedmann , 1956, « Le travail en miette »: il préconise les temps de pause, l’allégement de la charge de travail, l’adaptation du poste aux caractéristiques individuelles, les groupes semie autonomes, pour améliorer les rendements, limiter les « rêvasseries » dans lesquelles s’échappe le travailleur face à la monotonie.

Attention, il ne faut pas se tromper sur l’aspect humaniste qui se dégage de ces critiques. A cette époque, une grande partie de la sociologie était faite d’expérimentations dont le seul but était de trouver des solutions pour augmenter les rendements. C’est en partie le cas de Friedmann. C’est aussi le cas l’école des « relations humaines ».

B/ Ecole des relations humaines

Taylor était connu pour son approche technique et scientifique de l’organisation (on a sous estimé son approche humaine). La pensée de l’organisation sociale et humaine s’est vraiment développée avec l’école des relations humaines, car elle met l’affectif et le sentiment au coeur de son analyse.

1/ Théorie du sentiment

L’ERH développe un intérêt pour le facteur social. Ce courant théorique est moins centré sur les formes techniques du travail que sur le facteur humain. On s’intéresse davantage à l’affectif et au subjectif. Mais pas du tout aux dimensions financière et philosophique du travail.

Par rapport au courant Taylorien, on fait des entretiens individuels avec les salariés et non plus seulement de l’observation.

Les concepts importants de cette Ecole sont ceux d’« organisation formelle » et « informelle ». L’ERH prétend clarifier les relations de travail qui ne sont pas formalisées dans l’organigramme mais qui déterminent grandement la marche de l’entreprise.

L’organisation formelle est faite de règles officielles connus de tous. L’organisation informelle est faite de règles non écrites, mais souvent acceptées et partagées, elles sont une grande influence dans l’organisation.

L’ERH a pour thème de prédilection la « résistance au changement », avec pour but affirmé d’utiliser les sciences sociales afin de trouver des solutions pour rompre la résistance de l’ouvrier face aux changements inhérents à une production destinée à des marchés de plus en plus mouvant. Ces solutions constituent les formes balbutiantes du « management participatif ».

L’expérience de la Western Electric (1924 chicago, Hawthorne, réseaux électriques) est fondatrice pour l’ERH

C’est une expérimentations pour résoudre absentéisme:

  • On étudie l’influence de la luminosité sur les rendements. Deux groupes sont constitués pour l’expérience. On laisse la lumière telle quelle dans un groupe, on l’intensifie dans l’autre groupe dit « expérimental ».

  • Résultats: les rendements augmentent de la même manière dans les deux groupes! L’expérience est déclarée nulle.

  • Alors on se concentre sur le travail de 7 ouvrières. On fait changer des variables dans leur production, on réorganise régulièrement leur fonction, et rien de concluant techniquement ne se dégage.

  • Si ce n’est que depuis le début de l’expérimentation leurs résultats augmentent par rapport aux autres ouvrières de l’entreprise.

Tous les résultats sont positifs, chez les groupes témoins comme chez le groupe expérimental, car on s’intéresse à l’humain.

C’est l’expérimentation en soit qui en focalisant l’attention sur les travailleurs, a permis d’augmenter les rendements!

Les conclusions d’Elton Mayo en 1928 opèrent deux constats :

  • Si on s’intéresse aux salariés ou s’il y a présence d’un observateur, alors le rendement augmente. C’est ce qu’on appelle désormais l’« effet Hawthorne ». Les relations de commandement sont donc un facteur important du rendement.

  • La dynamique du groupe est importante. La vie du groupe revêt une importance considérable. Le facteur affectif est donc aussi un facteur important. On reconnaît l’existence d’une structure informelle de l’organisation faite de relations interpersonnelles. L’organisation sociale est donc importante.

L’expérience d’Harwood (1948 – 1950, production de pyjamas, usa)

Situation:

  • Rendements individuels mesurés (60 unités à l’heure)

  • paye au rendement principalement (mais existence d’un revenu de base)

  • scores affichés au tableau.

Enjeux:

  • Changement de poste fréquents

  • Celui qui change de poste en atteignant la norme de rendement avant 8 semaines, obtient une prime de transfert.

Constat:

  • Résistances des ouvriers au changement de poste.

  • Ils ont du mal à s’adapter et quittent l’usine.

  • Les nouveaux employés mettent moins de temps que les anciens à s’adapter, ce qui révèle et accentue la résistance aux changement des plus vieux.

On expérimente trois groupes: le groupe 1 se voit imposé le transfert (comme à l’habitude dans cette usine, c’est donc un groupe de « contrôle »), le groupe 2 est « démocratique » et participe à l’organisation du changement, le groupe 3 est dit « libéral », il participe à toute l’expérimentation, il participe à toutes les réunions.

Les résultats :

  • Dans le groupe de contrôle N° 1, il y a une chute du rendement. Le groupe fonctionne moins bien qu’antérieurement. L’agressivité croît. Un mauvais climat social s’instaure avec la hiérarchie. Les ouvriers font corps contre le changement. Ils estiment que le rendement fixé est trop élevé.

  • Dans le groupe dit « démocratique » N°2, après le transfert, l’entente est bonne, le rendement est important (il dépasse de 10% la norme fixée). Il n’y a pas d’absentéisme.

  • Dans le groupe dit « libéral » N° 3, on observe un fort rendement (jusqu’à 14% de plus que la norme fixée). Il n’y a pas non plus d’absentéisme. (Le tableau donne des résultats plus complets.)

Concernant le temps de réapprentissage:

  • il est infini dans le groupe N°1 (qui ne veut pas réapprendre)

  • il est de 14 jours dans le groupe démocratique (où les représentants doivent expliquer aux ouvriers comment procéder dans leur nouvel environnement)

  • il est d’une journée seulement dans le groupe libéral (où tout le monde avait participé aux réunions).

L’interprétation des résultats:

Le rôle essentiel de la participation dans l’acceptation du changement:

  • La formation ne suffit pas.

  • La variable explicative est la participation. (Futur « management participatif »)

  • Elle est source de bonne entente avec la hiérarchie et d’un apprentissage plus rapide.

La participation des ouvriers leur donne goût aux responsabilités.

Cette expérience montre également que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, quand les conditions sont favorables:

  • l’individu accepte les responsabilités et, même, les recherche.

  • s’ils définissent eux-mêmes les normes, ils se dirigent eux-mêmes, ils s’auto-contrôlent

  • leur estime d’eux-mêmes augmente,

  • ils sont plus coopératifs

  • plus efficients

  • développement dynamique d’un potentiel intellectuel et créatif des individus qui est généralement peu utilisé.

L’ERH conclue donc qu’il faut « plus de sentiments pour plus de rendement » :

  • L’Ecole des Relations Humaines développe une idéologie conduisant à une stratégie managériale visant à sentimentaliser les relations dans l’entreprise pour augmenter le rendement.

  • Pour Elton Mayo, le phénomène d’absentéisme est un problème de communication interne : si on communique, les salariés se sentent bien, et donc ne sont pas absents ; il faut donc rajouter du sentiment pour être plus efficient.

  • En cherchant l’efficience, Mayo est complémentaire de Taylor. C’est pour cela qu’on critique l’Ecole des Relations Humaines : on opère un changement à moindre coût puisqu’au lieu de remettre en question l’organisation dans son ensemble, c’est le comportement des individus qu’il s’agit de changer.

On voit donc dans ce mouvement un début marquant de psychologisation des relations de travail et du management. C’est en autre à ce moment là que s’opère un tournant historique, où la lutte des places commence à remplacer la lutte des classes, que l’autorité et la coercition habituellement incarnées par les cadres s’efface au profit d’une sensation diffuse d’auto-exploitation masquée par une prétendue responsabilité ou liberté d’organisation dans son travail.

2/ Néo taylorisme et toyotisme (principes Oniens de Taiichi Ono)

C’est une forme d’application concrète des théories de l’ERH, au sein de l’entreprise Toyota, puis rapidement dans toutes nos organisations modernes:

  • Direction par objectifs (on donne aux équipes la liberté de s’organiser, tant qu’elles produisent les résultats attendus)

  • Constitutions de groupes semi autonomes

  • Cercles de qualité (Réunions, en dehors des heures de travail et sur la base du volontariat, on incite les travailleurs à se réunir, sans les chefs, pour résoudre certains problèmes et perfectionner le processus de production, désamorcer les conflits qui sont source de pertes pour dans l’entreprise, proposer des solutions collectives, favoriser la communication entre les salariés, à travers des réunions régulières, encourager la mobilisation et la motivation des salariés, améliorer la qualité des produits)

  • Qualité parfaite (zéro défaut, le produit doit être parfait)

  • Juste à temps, flux tendu (il n’y a pas de stock, on a juste ce qu’il faut en stock pour produire ce que le client commande [réduire les coûts de gestion des stocks], ceci entraîne l’obligation d’une production parfaite, car la moindre erreur gaspille du stock, et met toute l’organisation en péril car elle génère des retards)

  • Zéro délais, le client doit être servi dans le délai le plus rapide.

  • Le management participatif (les décisions organisationnelles sont prises avec les ouvriers qui ainsi se sentent impliqués et responsables dans l’entreprise. Le but est ici de créer un désir d’exister au travers de son travail et de faire contribuer l’employer à l’image marketing de l’entreprise, tout ceci dans l’espoir d’inverser la contre-productivité Taylorienne)

Les méthodes de gestion néo-tayloriennes et le management participatif permettent donc de valoriser l’humain pour augmenter les rendements :

  • On déclare revendiquer l’enrichissement du travail, une augmentation de l’autonomie des travailleurs et du pouvoir de décision des salariés au sein de l’entreprise.

  • On laisse le choix aux équipes de s’organiser, on les consulte au sujet du moindre changement, elles peuvent agencer les postes et les moyens mis à disposition à leur guise.

La première critique immédiate du management participatif :

  • On dit vouloir répondre aux besoins individuels de reconnaissance et de satisfaction au travail, mais on ne favorise pas la dimension sociale et collective de l’organisation

  • Les rendements et les résultats restent les seules priorités.

  • Les « cercles de qualité » donnent l’illusion que l’individu est concerné alors que les décisions sont déjà prises.

André Gorz, a démontré par ailleurs que Toyota n’embauchait que 15% de ses employés selon les principes Oniens, la majeure partie des travailleurs évoluaient dans des conditions classiques de type OST, et tous les fournisseurs et sous traitants regroupant des dizaines de milliers d’employés, en étaient encore eux aussi à l’OST.

C/ La problématique des nouveaux modes de management

D’après Vincent De Gaulejac « Travail, les raisons de la colère », 2011

1/ Conditions de travail subjectives en dégradation

=> Les conditions de travail objectives se sont améliorées (travail moins pénible, temps de travail réduit, smic, normes de sécurité, médecine du travail…)

=> Les conditions subjectives se sont dégradés (Le travail « vécu » et « ressenti » s’est détérioré : les contradiction existentielles liées au travail se sont accentuées [cf. ce qui nous plait / ce qui nous paie, vivre pour travailler ou travailler pour vivre], le travail est parfois vécu comme une oppression, une source de stress, de souffrance, de doute, de mal être psychique…

De Gaulejac fait le constat d’un changement profond dans notre rapport au travail :

Il y a un accroissement des confusions et interférences entre le personnel et le professionnel :

Il s’opère une imbrication du travail dans l’existence et vice versa. C’est à dire une interaction croissante entre les deux. L’identité personnelle et professionnelle sont intriquées.

Une croissante abstraction des fonctions et des statuts sociaux

  • Les fonctions enviables (ingénieur, médecin…) aujourd’hui se brouillent, certains se prolétarisent, d’autres acquièrent un prestige démesuré. (Le médecin de campagne est obligé de faire du social et a une charge et des horaires de travail très lourds, mais il ne pratique pas le dépassement d’honoraire, alors que le médecin du travail renommé s’enrichit d’avantage, a un rythme de travail classique et fréquente des personnalités du sport… et pratique les dépassements, suit des conférences de spécialistes, fréquente et intervient à l’université.. )

  • Le paysan, fonction indépendante par excellence, est dans une dépendance absolue face aux grandes surfaces.

  • La culture ouvrière a été détruite (goût de l’action, du travail bien fait, remis en cause par rentabilité, recul syndical, management participatif valorise les carrières individuelles et les réflexes égoïstes…)

  • La lutte des places remplace lutte des classes

L’impact du travail sur la cohésion sociale est ambivalent :

« L’être de l’homme se définit essentiellement par le travail, à l’heure ou la place du travail dans la société éclate dans une multitude d’orientation et de significations de plus en plus contradictoires et aléatoires »

Ce changement se voit dans les chiffres (2008-2009-2010):

50% des salariés français estiment éprouver du stress au travail

24% des h et 37% des F souffrent de troubles psychologiques liés au travail

60% des salariés estiment commencer une autre tâche sans avoir finie la première

53% estiment que leur rythme de travail est imposé par la demande.

42% déclarent vivre des situations de tension avec l’usager.

53% estiment que leurs efforts et compétences ne sont pas reconnus

59% se déclarent perdant dans leur relation au travail

84% estiment que les intérêts des salariés et des dirigeants ne vont pas dans le même sens.

Stress, Suicides, « burn out », consommation de psychotropes, et anxiolytiques, toxicomanie, alcoolisme, sont les symptômes physiques et psychiques d’un travail difficilement vécu. De Gaulejac explique le « mal-être » au travail (qui défraie la chronique) comme le résultat d’injonctions (d’ordres et de règles) paradoxales, qui rendent « fou ». Autrement dit, qui fragilisent le travailleur, l’insécurise et le prennent souvent dans des pièges inextricables.

2/ La responsabilité de l’organisation actuelle du travail : « Les systèmes paradoxants » font devenir fou.

Eléments de contexte :

– Management par le chaos :

Logique d’obsolescence programmée : la mort des produits est programmée dans le produit, car cela permet d’en vendre d’autres plus rapidement. On détruit un produit pour pouvoir en produire d’autre.

Cette logique s’applique à l’entreprise entière qui ferme, pour mieux en créer une autre, et contourner le droit du travail qui empêche la flexibilité idéale des entreprises. Alors elles ferment pour éviter la charge des licenciements. Ce qui produit une perte de sens pour les travailleurs qui souffrent de l’incohérence entre l’implication qu’on leur demande dans l’entreprise, et la facilité que les dirigeants ont à fermer cette entreprise.

C’est ce que De Gaulejac appelle le « « Chaos management », c’est-à-dire une culture de l’échec, car plus vous échouez plus vous allez développer de la créativité pour rebondir et être rentable. L’échec prématuré vous fait prendre de l’avance sur vos concurrents!

Ceci entraîne une perte globale du sens, le travail noble comme « médiateur entre l’homme et la nature » (Marx) n’existe plus. C’est devenu une fonction abstraite, dont la seule finalité est de se plier aux exigences d’une flexibilité absurde, fruit d’une course à la rentabilité, imposée par la mondialisation et la concurrence sur tous les marchés.

– Le gouvernement par les chiffres

L’évaluation devient centrale dans le process de production, et elle est seulement numéraire et quantitative avant tout. C’est le résultat du management par objectif. Mais les chiffres ne font pas sens

Cf Police, Hopital… (Il est demandé aux gendarmes de montrer leur efficacité dans leur lutte contre l’insécurité par des chiffres. Du coup ils font beaucoup d’arrestations, de gardes à vue, de contraventions, mais ne font pas le travail de fond d’enquête, car obligés de faire du chiffre à la place !)

Révision Générale des Politiques Publiques: l’évaluation est le maître mot, tout comme l’obligation de résultat et les objectifs chiffrés. Ces nouvelles modalités d’organisation sont en rupture avec les valeurs de l’action publique: santé, éducation, sécurité… Le travailleur est déchiré entre l’obligation de rendre des chiffres qui ne font pas sens (et d’organiser son action en fonction de ces chiffres) alors que de l’autre côté son organisation et sa formation prônent des valeurs fortes, qui ne sont pas traduites dans les chiffres demandés.

– L’idéologie de la réalisation de soi

Rupture avec le système archaïque dirigiste et de contrôle (tel que le philosophe Michel Foucault le décrivait dans « surveiller et punir » 1975) : il s’agissait de « rendre les corps assujettis, dociles et productifs ».

Car avant les nouvelles formes de managements (c’est-à-dire avant la direction par objectif et le management participatif) on demandait tout au chef, car il savait tout. Aujourd’hui, le chef nous répond « débrouille toi, j’en sais rien, tu es le spécialiste, tu es embauché pour cela »

Aujourd’hui, on mobilise psychiquement, par sa motivation et ses ambitions valorisées, le salarié, qui doit mettre toute son énergie libinale au travail. C’est cela qui est sollicité, cette disposition mentale, ces désirs profonds d’exister et d’être quelqu’un, et l’entreprise serait le lieu pour satisfaire ceci.

On lui demande de se réaliser, d’exprimer tout son potentiel. Il est valorisé.

La « libido est transformée en force de travail ». Il se met en place une canalisation des désirs, tous tendus vers l’entreprise, la carrière, le dépassement des objectifs, la compétition entre collègues…

– La culture de l’excellence et capital humain

On demande aux travailleurs l’excellence, le 0 défaut, la qualité parfaite.

On leur demande aussi de se réaliser et trouver leur bonheur au travail.

Le contrat de travail ne suffit plus, il y a un contrat psychologique « l’entreprise nous propose de nous réaliser » « si je vais bien, l’entreprise va bien, et vice versa ».

C’est une victoire du capitalisme « le moi est devenu un capital qu’il faut faire fructifier »

Les travailleurs, cadres compris, intériorisent cette norme de la réalisation, du résultat parfait, cette culture de l’excellence (socialisation par l’institution).

Mais les travailleurs sont piégés dans cette illusion de l’excellence (car la vie factuelle n’est jamais idéale, et ils courent sans cesse après l’impossible excellence)

Le résultat du management par objectif, c’est qu’on a l’impression d’être nul, incompétent, inférieur, inapte, si on arrive pas aux rendements normaux. Car arriver aux objectifs est une norme. Pouvoir s’adapter aux changements est une norme. Se réaliser et être heureux au travail est une norme. Développer ses compétences et progresser toujours plus est une norme. Etre hors norme, être hors du commun est une norme. Ne pas arriver à ces normes, c’est ne pas être normal, c’est être mal socialisé, mal intégré, faible, mal adapté…

Tous les suicides (étude de Stéphanie Pallazi en 2009) montrent qu’à la source, il y a une remise en question de compétence, une menace de déqualification et en même temps, une demande forte de la hiérarchie de changement de poste, d’activité, souvent moins prestigieuse, moins qualifiée…

Le système des paradoxes et injonctions paradoxales:

D’après de Gaulejac, notre organisation du travail génère de la souffrance et de la folie, car elle est faite de paradoxes insurmontables:

La première des injonctions paradoxales

  • organisez vous librement pour remplir les objectifs

  • mais on ne vous donne pas les moyens, il faut faire plus avec moins

Paradoxe de l’urgence: plus on gagne du temps, moins on en a.

Chacun essaye d’imposer sa temporalité aux autres (règne du TTU, le « très très urgent ») (C’est typiquement le cas du collègue ou du supérieur qui déboule dans votre bureau en sueur en jetant un dossier devant vous et en disant « occupe toi de ça c’est urgent, j’ai pas le temps de le faire, c’est pour hier »)

Pourtant chacun connaît le temps qu’il faut pour faire sa tache correctement, mais puisque le changement est incessant, les dossiers TTU arrivent sur le bureau, l’orchestre est cacophonique, car en s’adaptant en permanence, le travailleur joue mal, sur un rythme désordonné. L’organisation aujourd’hui est un orchestre arythmique gouverné par l’urgence. Ainsi les travailleurs s’essoufflent, et courent après le temps sans boucler les affaires courantes. Au final, ils perdent du temps en se focalisant tous séparément sur leur gestion de l’urgence.

Le paradoxe de l’excellence: l’exigence de réussite mène immanquablement à l’échec.

C’est ce que caractérisent les anglo-saxons par « well above normal expectations » « clearly outsanding ». Etre hors du commun.

On attend le dépassement de soi, le dépassement de la norme, le toujours plus.

Dans un premier temps, cette valorisation du dépassement produit l’émulation.

Mais sur le long terme, il est impossible de toujours se dépasser, cela produit un sentiment d’impuissance, et donc finalement d’échec. Il est impossible d’être hors du commun en permanence.

Ceci favorise la lutte des places, et l’éclatement du collectif de travail.

Les travailleurs, puisqu’ils ont eu la liberté de s’organiser, se sentent donc coupables de cet échec.

Le paradoxe de l’autonomie contrôlée

Vous êtes libre de vous organiser, on favorise votre créativité, votre adaptabilité, votre libre arbitre, l’affirmation de votre personnalité…. tant que vous êtes dans l’acceptation totale des objectifs et normes de l’entreprise. C’est à dire la flexibilité, la mobilité, la rentabilité…

« L’homme managérial moderne, est une personne qui affirme sa personnalité en développant du conformisme.»

(Cf. centres d’appels téléphoniques: être réactif face au client, être créatif… mais les taches sont ultra standardisés. Les opérateurs ont sur leurs écrans des scripts de langage à suivre à la lettre et sont si surveillés qu’ils ne peuvent en sortir. Leurs résultats sont rapportés sur un tableau visible par tous, et le mot d’ordre reste « dépassez vous, soyez exceptionnel, faites parler votre imagination » . Yves Clot dans un article du monde libertaire évoque à ce propos les notions de « Travail empêché », et de « travail sans penser » )

L’autonomie est valorisée par la culture du défi, du challenge, de la compétition, faire carrière, améliorer ses performances… Mais l’hétéronomie s’accroît autant que l’autonomie, elle consiste à répondre aux exigences de l’entreprise.

L’appel à la responsabilité s’accroît, mais la maîtrise du travail décroît.

(Vous êtes plus que jamais responsable, d’un travail que vous maîtrisez moins que jamais)

D’après Alain Supiot c’est un « terrain propice au narcissisme, ou à la dépression »

Autrement dit « on est condamné à être libre », on est « obligé d’adhérer librement »

(paroles de cadres entretenus par Vincent de Gaulejac)

Le paradoxe de la désubjectivité impliquée

Les tâches modernes requièrent un investissement mental intense, une grande capacité de réflexion et de réaction, mais on ne doit pas surtout pas donner son avis personnel. Ne pas interférer avec une opinion personnelle. Cela créé un sentiment de dédoublement.

Et aujourd’hui avec TIC, les réseaux sociaux, on peut contrôler cette activité intellectuelle. Vérifier qu’elle entre bien dans le rang. Une désimplication subjective est requise tout autant qu’une implication mentale colossale.

Paradoxe de la coopération: l’organisation est un système de travail collectif qui empêche de travailler ensemble:

D’un côté on invoque les interfaces et les réseaux, la nécessité de coopérer et de travailler en équipe, les interdépendances et les solidarités nécessaires à l’organisation.

D’un autre côté on favorise la compétition interne, une émulation stressante dure à vivre, la division des tâches, la performance de chacun, on coupe le haut du management avec le bas du management (de proximité)

On crée une multitude de réunions pour favoriser la coopération, exactement dans les domaines où on sait que c’est inutile et accessoire pour l’entreprise.

3/ Les conséquences des injonctions paradoxales.

Des sentiments d’échec personnel se développement, car on est responsable de la réalisation de notre propre bonheur.

Comme on ne voit pas de cible (management flou, car participatif) l’origine du trouble, la source du mal est diffuse et systémique. Pour le travailleur surmené, il n’y a pas d’autres explications possibles que son échec personnel, son inadaptation, son manque de compétence, sa « nullité », son « anormalité. On fait en sorte que le travailleur se le dise à lui même, si ce n’est pas le cas, le management le lui rappellera.

Ce doute profond mis dans la tête du travailleur, peut conduire à la folie, à des conflits internes dévastateurs, déstabilisant complètement l’individu.

D’abord cela se manifestent par des replis défensifs, puis parfois par une sensation de paranoïa et/ou de persécution, plus rarement jusqu’au suicide.

Ou alors, à des mécanismes de dégagement : chacun cherche un moyen de pas sombrer dans la folie.

Face à ce mal être au travail et aux pathologies psychologiques que les nouvelles organisations créent, les réactions de la part des dirigeant consistent à remettre la faute sur la « fragilité personnelle » des travailleurs.

Le rapport gouvernemental sur les risques psychosociaux (Xavier Bertrand) produit en 2009 va dans ce sens. Il explique que les entreprises doivent apprendre à « gérer ces risques ». Jamais il n’est question de remise en cause des objectifs intenables, de l’organisation génératrice de souffrance, ou des exigences de rentabilité démentielles.

Les spécialistes des ressources humaines parlent de « gestion des risques psychosociaux ». Ainsi, la souffrance au travail, ne serait pas la résultante d’une organisation malsaine, mais un paramètre à gérer, au même titre que les stocks, l’offre et la demande, le cours de l’euro et du yen…

Les DRH les plus avancées (dont Renault) ont internalisé cette gestion des risques psychosociaux, en créant une surveillance des employés entre eux (surveiller son collègue, voir s’il n’est pas en train de craquer), et des cellules d’écoutes avec un psychologue.

Certains ont externalisé la gestion des risques psychosociaux. Les DRH font appellent à des cabinets d’experts extérieurs à l’entreprise, pour analyse le mal-être au travail des employés.

Donc généralement, les directions expliquent la faute par la faiblesse de l’employé (explication des suicides de la part des dirigeants de chez Renault).

On dira d’un travailleur qui s’est donné la mort sur le lieu de travail « qu’il avait des problèmes personnels ». Et effectivement, c’est bien là notre problématique, le travailleur a des problèmes personnels, parce que son travail est devenu « personnel » dans le cadre des nouvelles formes de « management par objectif et participatif ».

Les représentants de ces nouvelles organisations « blâment les victimes ». C’est encore une fois plus simple que de remettre en cause l’organisation, car cela impliquerait une réflexion de société sur la notion de travail, et une remise en question d’un système économique et social global. On préfère adapter l’humain au système plutôt que l’inverse, par simplicité. Mais ce n’est pas sans conséquences.

L’approche psychosociologique ou « socio-clinique » de De Gaulejac, n’est pas à détacher de l’aspect historique du travail et des droits sociaux qui lui sont liés.

II/ Le travail subordonné en tant qu’expérience avortée de la politique

(Notes sur la conférence d’Yves Clot au sujet de l’affaire Volkswagen)

La subordination poussée à l’extrême en vient même à nuire à la performance et aux résultats financiers ; Cf. affaire wolkswagen où les salariés gardant leurs esprit critiques, ont averti dès 2006 leurs supérieurs des irrégularités des logiciels qu’ils installaient sur les voitures. Ils avaient compris qu’ils installaient un logiciel trompeur visant à passer les tests d’émission de CO2. Mais leur remarques n’ont jamais été prises en considération. Car les ingénieurs développeurs des logiciels n’avaient d’autres choix. Il était impossible de faire en sorte que leurs moteurs ultra performants en terme de puissance, passent les nouvelles normes antipollution. Ils ont été mis sous pression par leur dirigeants, qui voulaient conquérir le marché américain, pour trouver une solution pour rendre les moteurs propres de manière légale. Paniqués à l’idée de devoir trouver une rallonge de moyens pour développer une système d’échappement fonctionnel, ils ont bidouillé le logiciel.

Plus personne n’ose dire que les objectifs à atteindre ne sont pas possibles techniquement. Si quelqu’un dit cela il perd son emploi.

WV a fait un programme d’amnistie temporaire, pour que les personnes concernées puissent faire leurs aveux sans perdre leur emploi, et donc pour faire une enquête sur les faits et leur histoire. 50 personnes (sur 600 000 salariés) se sont expliqué. Les dirigeants ont décidé de clore cette période d’amnistie 1 mois avant la date prévue. Pour accélérer l’enquête. Les lanceurs d’alerte à partir de cette date là n’avaient plus que le créneau classique de médiation mise en place depuis 10 ans, pour s’exprimer, mais cet espace n’a jamais fonctionné. D’ailleurs ces irrégularités dans le logiciel y avait déjà été signalées.

Le scandale a explosé par ailleurs, ruinant temporairement l’image et les finances de WV. La pire crise de son histoire est survenue suite à cette fraude sur 11 millions de véhicules…

La subordination poussée à l’extrême, prise à la lettre, est une amputation démocratique. Elle en vient même à nuire à la performance et aux résultats financiers ; elle isole les dirigeants, elle stérilise leur culture qui devient déconnectée et artificielle, capricieuse et provocatrice, notamment quand la défiance règne.

L’organisation est considérée comme intouchable. Et le travail « soigné » est devenu impossible.

Les travailleurs doivent baisser la tête après avoir baissé les bras. La politique officielle refoule le conflit explosif entre le travailleurs et sa hiérarchie, son organisation.

La mode est à la libération de l’entreprise, mais la participation des travailleurs aux décisions est toujours impossible même si des espaces de médiations font mine de s’ouvrir. On se focalise sur les compensation ou redistribution salariales, mais cette politique s’arrête à la frontière du rapport concret au travail et ne viennent pas limiter le pouvoir discrétionnaire de l’employeur dans l’organisation du travail et la détermination exclusive de l’objet du travail.

La politique, de l’emploi et du travail se limite donc à une redistribution clientéliste de l’argent et du pouvoir. L’Etat en tant que lieu exclusif de la politique est devenu un lieu de production de l’apolitisme en niant le conflit social du travail. Car la liberté politique n’a pas le droit de cité au travail. Au contraire, on délègue à des ingénieurs du bien-être la gestion des troubles liés au travail, comme des troubles éminemment personnels, dont les travailleurs seraient quelque part fautifs ou responsables.

Ce sont là des plans d’action hygiénistes du bonheur. La question du bien-être prend la tournure d’un despotisme compassionnel. Il y a aujourd’hui un marché du risque psycho-social, dont des bureaux d’études et autres cellules psychologiques se chargent, selon une morale hygiéniste.

Il s’agit juste de liberté à discuter. Ca suffirait pour faire revenir la cité dans l’entreprise. Mais on ne veut pas du travail en tant qu’activité délibéré.

Le problème n’est pas du tout le risque psycho-social, mais bien le travail en tant qu’expérience avortée de la politique.

Ce n’est pas à l’employeur de décider seul de l’objet du travail.

Mais le conflit que cela va créer, aussi légitime soit-il est aujourd’hui illégal. La légitimité précède toujours la légalité.

Nier ce conflit est un poison pour la société. Peut être faut il cependant l’encadrer.

Il faudrait une institution du conflit social du travail. Et lever le déni social qui intoxique jusqu’à la santé des travailleurs et de toute la société.

Le travail bien fait est empêché, ce qui compte pour les travailleurs est interdit à réaliser. L’activité est contrariée.

L’entreprise développe ses normes propres. Elle risque de devenir l’espace inaccessible à la démocratie, la nouvelle frontière d’une civilisation en panne.

35% des salariés de l’industrie, 37% de la fonction public hospitalière, déclarent ne jamais ressentir la fierté du travail bien fait (enquête de la DARES).

La liberté de travailler convenablement et même le droit d’en discuter n’existent pas dans l’entreprise.

Piège pour la santé : le travailleur doit prendre de plus en plus de responsabilité direct vis à vis des clients, des partenaires, des collègues… mais on ne lui donne pas par ailleurs la responsabilité de définir le contenu de son travail. C’est destructeur.

Solution ; force syndicale avec proposition cohérente de nouvelle organisation, capable de séduire les salariés, avec de forts pouvoirs publics qui au moyen d’argent public travaillent à la réorganisation des entreprises, sinon le taylorisme ne manquera pas de continuer à se développer en niant l’humain et le conflit qui l’aiderait à s’émanciper.

III/ L’analyse des conditions de la souffrance au travail

(Conditions de travail: « l’ensemble des facteurs déterminant la conduite du travailleur » )

A / Tâches, charge, horaires…

1/…mais aussi ce qu’on ne voit pas : l’« invisibilité du travail »

Dominique Lhuilier 2010 ;

Pour le chercheur, il y a une difficulté exceptionnelle d’accéder à la réalité du travail. Il doit être particulièrement précautionneux et vigilent quant à ses analyses des conditions de travail. Car il y a des masques qui empêchent de comprendre la réalité du lien entre santé et travail.

Le travail réel est souvent synonyme pour ceux qui prescrivent les règles comme pour ceux qui les appliquent (opérateurs), de transgression par rapport à ces règles, donc le travail réel est dissimulé.

« Prescripteurs comme opérateurs tendent à entretenir l’invisibilité du travail . »

L’activité n’est pas son environnement, pas plus qu’elle n’est la tâche. Autrement dit, accéder par exemple à la complexité des liens santé- travail suppose de mettre en lumière le travail réel et de ne pas s’arrêter au travail prescrit.

L’activité réelle est en volume beaucoup plus grande que ce qui est prescrit ou même réalisé!

« Le réel de l’activité, c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ce qu’on cherche à faire sans y parvenir. Les échecs, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on ne fait plus, ce qui est à faire ou encore ce qu’on fait sans vouloir le faire, sans compter ce qui est à refaire. L’activité possède donc un volume qui déborde l’activité réalisée » (Yves Clot, 2001).

Il y a le cadre normatif du travail (déjà très complexe, de la note de service au contrat en passant par l’organigramme ou la législation et procédures en vigueur…), mais aussi le cadre informel, le détournement des règles, les pratiques hors cadres…

Chacun a aussi tendance à déborder du rôle social qui lui est confié et de la tâche que lui est assignée.

2/ Les tâches de travail et problématique de la dématerialisation :

  • en 1994 Edgar Morin disait en pensant au siècle à venir « le travail en permanence à l’usine sera un cas limité »

  • aujourd’hui, Yann Moulier-Boutang explique que nous sommes à l’ère du capitalisme cognitif, où les échanges économiques se basent sur l’échange d’informations. Economie de l’immatérielle est dominante, il s’agit de vendre de la connaissance produite grâce à de la connaissance, ce qui signifie la fin de la rareté économique (fondement de l’économie classique), un développement de l’économie de la pollinisation (chaque acteur économique vient féconder des champs économiques divers et en interaction, et il touchera pour ceci un revenu mixte composé d’activités marchandes et de prestations sociales)

  • André Gorz parle à son tour d’économie de l’immatérielle et d’économie du savoir (la disparition de la valeur travail et l’émergence de l’intelligence sociale comme génératrice de richesse ) …

Mais réalité n’est pas si claire, car il est constaté :

  • une persistance du travail « dit manuel »

  • une persistance du travail à la chaîne (les nouvelles unités de production qui ouvrent restent sous un format Tayloriste ou Toyotiste)

  • que 4% des hommes travaillaient à la chaîne en 84, 8% en 2005, 20% des femmes en 84 et 26% en 2005

  • que le temps d’exposition aux secousses et vibration, tout salarié confondu, a été multiplié par deux entre 84 et 2005

  • que le port de charges lourdes a augmenté de 80% entre 84 et 2005

  • une sous-utilisation des aides à la manutention (cf. domaine de la santé, car pour privilégier le contact humain, on évite parfois d’utiliser le lève malade; cf. domaine de l’entreprise, où les aides à la manutention font perde du temps, hors le travail en urgence augmente)

  • que l »exposition au bruit est restée stable malgré la prévention

Loin d’une fin du travail physique, il est constaté une continuité inquiétante des formes taylorisées et éprouvantes :

  • En 2005 37 % des salariés, soit près de 7 millions, ont été exposés à au moins un produit chimique lors de la dernière semaine travaillée précédant l’enquête. 3 point de plus qu’en 94.

  • L’exposition aux produits chimiques a le plus progressé dans les secteurs (BTP, agriculture et industrie) et les catégories socioprofessionnelles (ouvriers) qui étaient déjà les plus concernés en 1994.

  • Du fait de leur répartition sectorielle, les hommes sont plus exposés (20 %) que les femmes (4 %).

  • Les ouvriers représentent la grande majorité (70 %) des exposés au produit chimiques.

  • Le temps où le salarié doit travailler debout est resté stable

  • l’obligation de recourir à des postures pénibles a été multiplié par trois entre 84 et 2005

  • Inégalités sociales et santé au travail: de la même manière que l’alimentation, le sport, l’hygiène, la protection de la santé au travail passe par une connaissance qui s’apprend, et qui échappe souvent aux classes populaires, mal informées, distanciées scolairement et plus touchées par les activités physiques à risque. Ce sont les populations les moins sensibles aux actions de prévention des risques, à la fois pour une question de culture et aussi car ces actions n’arrivent pas à elles car trop précaires (chantiers d’intérim…)

=> les emplois industriels occupent une place beaucoup moins importante (cf. Mouvement de désindustrialisation lié à la mondialisation, et de tertiarisation). Cependant, la pénibilité du travail a largement augmenté dans le secteur tertiaire.

=> le travail répétitif (industriel ou service) concerne 28% des salariés

=> ainsi le développement de l’informatique n’a pas eu pour effet de diminuer la pénibilité du travail comme on aurait pu l’attendre. Il a plutot joué dans le sens d’une intensification (mais il y a un pallier franchi entre 98 et 2005)

Les signes de l’intensification du travail :

  • 44% des salariés estiment que leur rythme de travail dépend de la satisfaction des normes en terme de « délais d’une journée », contre 18% en 1984

  • En 2005, 27 % des salariés disent que leur rythme de travail dépend de celui de leurs collègues, contre 11% en 1984

  • En 2005, 32 % des salariés citent au moins trois contraintes qui déterminent leur rythme de travail, contre 5 % en 1984

  • Cette intensification est ressentie beaucoup plus fortement par les ouvriers que par les cadres.

3/ La charge mentale augmente, notamment du fait de l’informatisation

  • Les nouvelles formes d’organisation du travail rendent le travail à la fois plus intéressant et plus exigeant.

  • Elles sollicitent la réactivité des salariés face aux imprévus.

  • Le travail doit souvent être réalisé dans l’urgence.

  • Au cours des années 1980 et 1990, les rythmes de travail ont été de plus en plus imposés par la demande de clients à satisfaire immédiatement ou dans des délais très courts,

  • Les salariés se sont trouvés de plus en plus souvent au contact direct du public ou de la clientèle ce qui occasionne parfois des tensions, voire des agressions.

  • Ainsi en 2003 22 % des salariés en contact avec le public signalaient avoir subi une agression verbale, et 2 % une agression physique au cours des douze derniers mois

Le travail est bousculé:

  • en 2005, 60 % des salariés disent « devoir souvent interrompre une tâche pour une autre non prévue à l’avance » contre 48 % en 1991.

  • en 1984 28% des salariés estimaient devoir travailler dans le but de satisfaire une demande immédiate, contre 53% aujourd’hui.

  • Au cours des vingt dernières années, la diffusion des nouvelles technologies a concerné toutes les catégories de salariés, même si les ouvriers demeurent à priori moins concernés, une grand partie de leur machines se sont automatisées et ils doivent les gérer informatiquement.

Le travail doit être de plus en plus vigilent

  • L’usage croissant de l’informatique et la formalisation des procédures de travail amènent les salariés à devoir plus souvent recourir à des documents écrits, ce qui renforce l’exigence de vigilance et de concentration au travail

  • En 2005, 34 % des salariés disent que l’exécution de leur travail leur impose de ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux contre 26 % en 1991.

  • En 2005 33% des salariés disent devoir lire de tous petits chiffres ou lettres ou devoir examiner de tous petites objets contre 21% en 1991.

  • Les « risques psycho-sociaux » peuvent notamment se développer quand l’organisation du travail impose une forte charge mentale (pression temporelle, travail haché, tâches complexes) sans accorder suffisamment de marges de manœuvre aux salariés pour faire face à ces exigences.

Les marges de manoeuvres sont relativement plus grandes aujourd’hui:

  • Les marges de manœuvre dont disposent les salariés pour faire leur travail ont eu tendance à s’accroître lors des changements organisationnels des années 1980–1990.

  • Entre 1990 et 1998, le travail est devenu moins strictement prescrit.

  • En cas d’incident dans le travail, les salariés ont moins souvent dû faire appel à d’autres et ont davantage été en mesure de régler personnellement les problèmes.

  • Cependant seulement 35% des salariés (61 ou 2005 pareil) estiment pouvoir faire varier les délais…

  • l’augmentation des marges de manœuvres résultait des grands changement organisationnels des années 80-90, mais depuis les organisations sont devenus plus routinières et les marges de manœuvre se sont réduites, notamment pour les femmes.

4/ Horaires de travail

La durée collective du travail,mesurée par semaine ou par année, a diminué fortement entre 1998 et 2002 suite aux lois sur la réduction du temps de travail : de 39 heures par semaine en 1998 à 35,5 heures en 2002.Mais les horaires atypiques se sont développés.

  • de salariés travaillant la nuit: En 2005, 15% des salariés, soit 22% des hommes et 8% des femmes, travaillent habituellement ou occasionnellement la nuit, contre 18 % et 6 % en 1991.

  • L’augmentation du travail de nuit concerne plus particulièrement les ouvrières (10%en 2005 contre 2 % en 1991).

  • Le travail du samedi, qui concerne un salarié sur deux, demeure stable depuis 15 ans, mais la pratique régulière s’est développée au détriment de la pratique occasionnelle.

  • Le travail du dimanche tend à se développer.

  • Le contrôle des horaires par l’entreprise s’est renforcé, mais a changé de forme

  • le contrôle par la hiérarchie devient moins fréquent

  • Mais développement des méthodes plus formalisées: les horloges pointeuses et les signatures de registres.

  • Les horaires deviennent par ailleurs plus prévisibles: la proportion de salariés qui n’apprennent leurs horaires que la veille est passée de 8 % en 1998 à 5 % en 2005.

  • La réduction du temps de travail s’est souvent accompagnée d’une plus grande formalisation des plannings.

B/ Souffrance et violence au travail:

Les accidents du travail sont en diminution, mais les maladies professionnelles augmentent gravement. (Multipliées par 5 entre 84 et 2005).

Il y a un effet de chiffre, car la connaissance sur ces maladies s’est développée, plus de maladies sont connues et identifiées.

Mais en même temps le travail s’est intensifié, les maladies dues à l’amiante (effet retardés) se sont déclarés, et le nombre de pathologies liées au stress et au troubles musculo-squelettiques a largement augmenté.

Cependant l’Insee estime encore très important le taux de maladies professionnelles non déclarées.

1/ Critique de l’approche causale

Pour Lhuilier, la souffrance au travail est éminemment complexe: elle se tisse au fil de l’expérience du travailleur et se confronte aux différentes facettes de l’organisation du travail (ce qui se voit, et ce qui est invisible, le formel et l’informel…)

Cette difficulté d’identification des causes, ou de l’utilisation d’une approche causale pour expliquer les souffrances, renforce les souffrances. Le manque de logique explicite et d’explicitation des faits, des responsabilités de chacun, de la division du travail, le déni de la délégation et de la prescription, renforcent la souffrance psychique, et exacerbe la pénibilité physique du travail, puis la santé somatique. (« stress », « harcèlement », violence, trauma et suicides sont les vecteurs privilégiés d’expression du mal-être au travail  )

« le déni des origines et processus de la pénibilité, et des risques du travail , se déploie sur une invisibilité croissante du travail réel et contribue à exacerber la pénibilité psychique au détriment (ou en plus) de la santé somatique. » Lhulier

L’interim, la sous-traitance et le recours aux contrats précaires est une manière de détourner les règles de prévention des risques, notamment psychologiques. Les précaires privilégient le maintient de l’activité, au détriment de la santé, et de sa qualité. Il ne s’agit donc pas que des conditions de travail, mais aussi des condition d’emploi!

« Une attention particulière doit être portée aux actifs précaires. En effet, dans nombre de situations de travail , la précarité de l’emploi conduit à privilégier le maintien de l’activité, y compris au détriment de la santé (Hélardot, 2009). Aussi, la prise en compte des conditions d’emploi doit être combinée avec celle des conditions de travail pour mieux saisir les risques, leurs arbitrages et conjugaison. Le statut de l’emploi ouvre à des ressources ou à des obstacles à la préservation et au développement de la santé au travail . Ici, il faut distinguer les différentes formes de précarité : intérim, CDD, travailleur indépendant… L’intermittent du spectacle en est une des figures, il est lui aussi confronté à une hyperflexibilité de l’emploi. Et divers travaux contribuent à souligner la force des mécanismes qui concourent à une invisibilité sociale des questions de santé dans l’exercice de ces professions artistiques. »

La multiplication des procédures qualitatives ou « démarche qualité » pousse les salariés à fragiliser leur représentation qu’ils se font de leur travail, à bousculer leurs repères.

Ainsi dans le domaine hospitalier, l’injonction à une humanisation, ou à une promotion de l’accueil, conduit de par l’application de nouvelles procédures à une intensification du travail.

Et l’humain passe au second plan, car les soignants doivent se concentrer sur le respect de ces procédures et l’évaluation permanente de leur travail. Ces procédures mettent les soignants sur la défensive.

Le fait de respecter les normes de qualité augmente de 30% le risque d’accidents au travail dans les hôpitaux (enquête DARES 1998)

« L’énigme que constituent l’accroissement de l’absentéisme au travail et les signaux d’alerte des médecins du travail dans des contextes « d’amélioration des conditionsde travail » illustre ces « malentendus ». Ainsi, quand une direction d’établissement hospitalier engage un vaste programme « d’humanisation » recouvrant à la fois une amélioration des conditions de vie des patients et une revalorisation du travail des soignants, elle peut paradoxalement amplifier les contraintes psychiques du travail . La mise en œuvre d’un important chantier de rénovation des installations et des équipements, la définition d’un plan de formation pour les personnels afin d’améliorer la qualité des soins, les discours institutionnels de « promotion de la qualité de l’accueil », d’un traitement « respectueux de la singularité des personnes » sont les principales traductions de cette « humanisation » qui attaque les systèmes défensifs des soignants et accroît la pénibilité du travail . Si les « conditions de travail » connaissent une amélioration sensible du fait des rénovations réalisées, les représentations de l’« objet » du travail et leur fonction défensive (réification du patient manipulé comme un objet) sont fragilisées par l’injonction à « l’humanisation ». Cette amélioration ne tient pas compte des caractéristiques des activités des soignants confrontés à la dégradation somato-psychique des patients en long séjour, à l’intensification du travail par l’accroissement de la dépendance des malades âgés et par la réduction des effectifs du personnel (Lhuilier, 1998). »

« L’intensification du travail est due à la fois à la réduction des durées d’hospitalisation, aux critères de mesure et traçabilité des activités qui ne retiennent que les actes techniques au détriment des activités de « care » (Molinier , 2009) et aux tâches induites par les normes de qualité et les dispositifs d’évaluation et de contrôle de celles-ci. Ces mêmes normes et dispositifs ont un effet paradoxal. L’enquête de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), réalisée en 1998 sur les conditions de travail , montre que le fait de devoir respecter les normes de qualité augmente de 30 % le risque d’accidents : le souci de « qualité » contraint les personnels à se concentrer sur le respect des règles au détriment de l’attention portée à la singularité des contextes de l’intervention (Bertezene, 2005). Ainsi, la mise en place d’ordinateurs sur les chariots de soins pour permettre d’informer en temps réel le fichier de relevés d’activités s’accompagne d’une augmentation du nombre d’accidents d’exposition au sang (AES). »

2/Violence ordinaire dans les organisations

Pour Gilles Herreros il n’y a pas de harceleurs identifiés, de bourreaux directement responsables, de violence ostentatoire ou démonstrative comme violence physique, mais plutôt « une cécité, des petites lâchetés quotidiennes, des peurs… »

Ces violences n’engendrent pas de de la souffrance contestable médicalement et mesurable avec des indicateurs (absentéisme, turn over, arrêts maladies)

c’est une violence banale, invisible et fondue dans le quotidien. Insidieuse et se perpétue sans difficulté.

Violence = négation de l’autre (faire sans anticiper les conséquences sur l’autre, stigmatiser la différence de l’autre…)

C’est une violence innocente, car elle est faite en bonne conscience et sous couvert des règles formelles de l’organisation.

« Ici une secrétaire de l’université se voit refuser tout avancement pendant 30 ans par sa hiérarchie qui lui fait payer son manque de connivence, là un cadre d’une grande entreprise chargé d’un projet transversal se voit menacer par un collègue disant « Si tu viens sur mon territoire, je te tue »

« En milieu hospitalier c’est une communauté de soignants surchargés de travail qui s’en prend aux magasiniers de l’établissement transformés en bouc émissaires de tout ce qui ne fonctionne pas dans l’établissement »

Pathologies individuelles et collectives:

Développement de l’esprit de performance, du toujours plus loin, rend le travail destructeur pour les personnes qui intériorisent l’idée de réussite, d’innovation, de dépassement de soi, de conduites de projets qui leurs permettraient de se réaliser.

Le travail devient épuisant car c’est un lieu d’excellence dans lequel il est demandé au travailleur de s’impliquer tout entier.

Alain Ehrenberg parle de « fatigue d’être soi »

Le bon sens quitte les organisations, au profit de la bonne gestion, selon les normes néo libérales, souvent basées sur des attentes quantitatives (réduction des coûts, efficience budgétaire, productivité…)

Mais Herreros est méfiant, car pour lui il est trop facile de s’en remettre à la faute du système, car cela pourrait amener à la conclusion « que peut on faire, puisque c’est le système ? »

Sans nier les effets du système, Herreros constate que la violence est concrète, et incarnée par des individus ou des collectifs. « elle passe invariablement par des visages, des corps, des voix, des individus et des collectifs »

Pour lui, la violence arrive par le système (néo libéral) et est intériorisée puis mise en œuvre par les personnes.

Herroros raconte l’histoire d’une liste de qualificatifs détaillant le caractère du personnel d’une entreprise d’ESS. L’économie sociale et solidaire prônant par ailleurs « l’humain au centre des préoccupations », « une homme une voix »…)

Cette liste fichait les employés et décrivait certains comme « sournois » « individualistes », « proches des syndicats »… En l’occurrence, un cadre l’avait faite de manière insignifiante pour son successeur. Mais un salarié la trouve, laissée négligemment sur le bureau du cadre. Il la photocopie, en mettant le titre suivant : « une liste de qualificatifs infamants et discriminants a été dressée par la direction ». Les syndicats se saisissent de l’affaire.

La direction accuse le personnel de vol d’informations confidentielles. Et menace de sanctions les responsables syndicaux pour étouffer l’affaire. Les syndicats répondent en publiant au grand jour la liste dans la presse.

Cette réalité est le terreau d’une violence banale et quotidienne. Tout le monde se sent dans son bon droit, comme si tout relevait de règles ordinaires, d’un jeu ordinaire.

3/ Subversion et organisations

D’après Lhulier il est nécessaire de transformer pour comprendre et comprendre pour transformer, faire des organisations des instances réflexives capables de se subvertir, de se comprendre, de produire de la connaissance et de donner à chacun les moyens de retrouver/produire du sens, mettre l’organisation au service de l’humain.

Selon Herreros, rendre possible la critique et la dissonance, développer une réflexion collective sur les formes et les effets de l’activité, pour aboutir à une intranquillité qui au final est rassurante. Car la dissonance est trop perçue comme une dissidence à combattre. Anesthésie de la critique. Et ceci provoque le développement des violences ordinaires. L’activité est plus grande que la tâche prescrite (règles et pratiques informelles..)

Cette mise en crise de l’institution, cette mise en questions et en action peut déstabiliser et créer de l’intranquilité, mais qui est sans commune mesure avec la violence banale et dévastatrice des organisations actuelles. Au final cette intranquilité est rassurante.

7 février 2017 Courant d'Arrachement

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One thought on “Sur l’organisation du travail – Notes de recherche du 9 décembre 2016 – Cycle Travail N°2”

  1. BARRET Nicolas dit :
    8 février 2017 à 11 h 50 min

    Merci pour toute l’énergie mise en oeuvre (prepa – expose- resumé) autour de ce sujet sensible qui nous touche tous.L’approche, la mise en oeuvre, les exposés et angles de vues de chacun sont captivantes. A bientôt
    Open-minded!!!!

    Répondre

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