Cycle Travail N°5
présentations d’émancipations EN DEHORS du travail et AU travail,
18 mai 2017
Nous sommes en présence de définitions multiples du travail. Le travail-esclavage, travail-réalisation de soi, le travail-gagne pain, le travail comme lien entre la nature et l’humain, le travail comme effort collectif pour l’intérêt général, le travail-souffrance, le travail comme activité contrainte…
Toutes cohabitent dans nos représentations. Et discuter nos représentations, nos vécus, est une manière de mieux comprendre de quoi on parle, de créer une culture commune et de mieux passer à l’action.
Action, plusieurs niveaux, issus du cycle 4 :
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Outils, armes
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Se former pour comprendre, analyser. Une manière aussi d’éviter les modèles uniques, en comprenant qu’on a tous un rapport au travail différent et que les solutions ne peuvent être univoques
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Se former pour mieux discuter / argumenter, résister sur notre lieu de travail.
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Puis se former en écoutant du « travail autrement », pour ouvrir nos horizons, nos utopies, nos envies et modalités de révoltes. Pour construire sur la base d’expériences qui ont bien défriché le terrain. Pour se dire que c’est possible.
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Actions collectives à penser :
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Unités de productions
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Mutualisations de revenus (séparation du revenu et de l’activité)
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Ecritures
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Plusieurs temps différents menés en parallèle dans le Cycle
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Un temps de rencontres autours d’expériences ou de travaux de recherche.
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Un temps de questions sur ce qu’on a à faire ensemble, comment. Ce deuxième temps est aussi un moment pour faire de la recherche collectivement, en échangeant sur nos parcours, sur nos textes
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Un temps d’écriture
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Un temps de construction commune
Ce soir nous allons entendre plusieurs définitions, ou représentation de ce qu’est le travail et de comment réagir, militer, intervenir dessus. L’idée n’est pas d’en choisir et d’en figer une. Mais plutôt de voir comment elles discutent entre elles, comment elle s’alimentent et parfois s’opposent. L’idée est de proposer tout un nuancier d’outils pour soi et le collectif.
Ces approchent et représentations existent toutes en même temps, et quelles constituent à elles seules des outils pour aborder le travail différemment, et le mettre à distance, pour mieux le transformer (pour certains il s’agira de l’éradiquer, car travail = esclavage, pour d’autres il s’agira de le sortir de l’emprise patronale, pour d’autres encore il faudra séparer revenu et travail, puis pour certains autres encore, il faudrait sortir de toute relation économique).
Ces versions / définitions du travail ne sont pas en conflit. Mais elles ont toutes à nous apprendre et à apprendre aussi l’une de l’autre.
Et ce collectif qui se saisie de la question du travail, n’est pas un syndicat pourtant sont présents des syndicalistes, n’est pas une université pourtant on y retrouve des chercheurs, n’est pas une bourse du travail pourtant il y a des travailleurs, n’est pas Woodstock pourtant on y retrouve des hippies… C’est ce croisement qui nous importe. C’est qui fait du commun, ou de la commune, là où par ailleurs on pourrait croire que tout nous dissocie.
I/ Présentation du parcours de Naïm aka L’1consolable
J’ai passé un BAC L, après quoi j’ai commencé des études de philo. J’ai été déçu de la manière dont c’était enseigné. J’ai arrêté les études de philo en cours d’année. Je voulais me consacrer à ce qui me plaisait, faire des chansons de rap, ce que je fais depuis que j’ai 12 ans. L’envie ne m’a pas passée. En quittant la fac, je me suis dit que j’allais faire les boulots que je trouvais ici et là, et me consacrer par ailleurs à la musique. Enquêtes par téléphone, interim, j’ai bossé sur le site web de la BNP, du secrétariat… Cette période de travail par intermittence a duré 7 ans (avec des périodes de chômage), Ah oui j’ai aussi travaillé dans la sécurité dans les aéroports. Puis pour d’autres raisons je suis allé vers Bellac, St Junien, y’avait des usines de cartonnerie, dans lesquelles j’ai bossé en intérim (manpower, addecco).
Dans une de ces usines, j’étais payé à la semaine en tant qu’intérimaire mais les heures de nuits n’étaient pas payées comme telles, comme les heures supplémentaires. Ils m’ont dit qu’il ne les payaient pas et que je pouvais partir car plein de gens seraient prêts à prendre notre place. On fait aussi une heure gratuite pour montrer notre investissement dans l’entreprise. Il y avait peu de pause voir pas du tout. Mes collègues intérimaires me dénonçaient si j’arrivais en retard. Le patron dominait totalement, il y avait de la compétition entre les salariés. Le patron nous brimait, nous insultait. Et personne ne bronchait. Personne ne trouvait ça choquant. Il avait si bien assis sa domination, que les salariés se dénonçaient entre eux.
Du coup je ne faisais pas les heures supplémentaires, et on m’a dit que je pouvais donc laisser ma place. Ils ont pris quelqu’un d’autre.
Deuxième matin dans l’autre entreprise, je me suis écrasé le doigt dans une presse. Le chef d’atelier m’a dit « je t’avais dit de faire attention » et il a remis son casque et recommencé à bosser.
J’ai eu un certificat médical, mais on m’a accusé d’avoir fraudé. Je devais remplacer les frais de sécu. J’ai du écrire au tribunal des affaires sociales. J’avais des faux témoignages contre moi.
J’ai été sommé de payer. Mais j’ai refusé. J’étais en colère, donc j’ai pas remboursé. Le lendemain après l’accident, je suis allé bossé quand même. Même blessé.
J’étais en souffrance car je n’avait pas le temps et l’énergie pour faire de la musique. Soit je renonçais, et je me mettais de côté. En oubliant tous mes désirs. Soit j’en partais. Et même en trouvant de meilleures conditions de travail, j’avais peur de perdre dans tous les cas le sens de mon activité, le sens de ma vie.
Et donc j’ai décidé, qu’il fallait que j’arrête le travail jusqu’à ce que mort s’en suivre.
Ce matin là, au lieu d’y aller, ce sentiment de libération c’était déjà extrêmement puissant. Même si après ça c’est régulé avec le temps. J’étais comme un prisonnier qui trouvait la clef au fond de sa poche.
Pour préciser ma vision du travail, j’ai arrêté d’être employé, mais je n’ai jamais autant été actif. Ca m’a reposé la question de la valeur du temps. C’est devenue une valeur primordiale. Et ça vaut beaucoup plus que le smic que j’ai touché pendant 7 ans.
Le temps ne s’écoule que dans un sens. Le temps écoulé ne revient pas.
Et ça vaut infiniment plus qu’un maigre salaire. L’argent va et vient, le temps lui s’écoule.
J’ai fait aussi un tri sur ce que je consommais, sur ce que la pub m’a appris à avoir besoin.
Donc j’ai abandonné téléphone, voiture… car en vérité ça coûte beaucoup de temps d’avoir ces choses là.
Etant inondé par le discours ambiant du « travail qui rend libre » (Sarkozy), j’ai joué de la figure du feignant. J’en ai joué jusque dans son paroxysme. Je considère pas mon parcours comme un modèle. Si j’avais pas eu autant de souffrance, je n’aurais pas pu m’en échapper. Ca me conduit à ne pas donner de leçon envers ceux qui sont encore prisonniers du travail.
Le Rsa c’est les miettes qu’on donne aux pauvres pour pas que ça explose. C’est pas un projet politique souhaitable. Mais par contre, ca m’intéresse de mettre en commun des moyens de bricoler, échanger des astuces… (réduire sa consommation, voler en magasin…) des stratégies, qui font sens, qui sont des projets politiques dans ma vie, mais ce ne sont que des bricolages.
Notamment par rapport à la force du capitalisme qui demande qu’on se marchandise, qu’on vende notre force de travail pour survivre. Ce chantage là… pour l’instant j’ai juste trouvé des moyens de bricoler.
J’ai aussi trouvé des discours, vis à vis de pole emploi pour qu’ils me foutent la paix.
C’est devenu un art de la ruse.Une stratégie, ne pas être là où on l’ennemi nous attend. Ne pas aller sur le terrain de l’ennemi.
Pour moi le travail c’est un sous domaine de l’activité. Tout travail est activité, mais toute activité n’est pas travail. Le travail est une activité contrainte de l’extérieur (survivre en vendant sa force de travail sur le marché). C’est une activité dont le sens nous est confisqué. Et la maîtrise des conditions aussi.
Et quand on me dit que je travaille quand je fais de la musique, je réponds ça, quand je fais tout ça, je ne travaille pas. Je fais, simplement, j’œuvre. Je suis actif, j’ai des activités, mais mes activités ne sont pas du travail car elles ne relèvent ni du salariat, ni de l’esclavage. Car je décide du sens et des modalités de l’exécution de l’activité. Et en plus, pour répondre à l’accusation du parasitisme, bein je me sens beaucoup plus utile à militer, faire des actions diverses et variées, à faire des chansons, etc.
Je conçois très bien qu’on en ait des définitions diverses, mais dans mon expérience, c’est ce sens là qui s’est construit.
II/ Expériences syndicales de lutte colletives
Grèves dans le service de l’eau
Pour moi CGTiste, faire une chanson c’est un travail. Quand je dis « travail » c’est aussi ce que tu vis. Toi tu dis activité, moi je dis travail. Comment fait-il sens ?
Comment faire sens au travail, en collectif ? Comment se réapproprier son travail ou son œuvre ? Tout ça dans un caractère contraint… Pour beaucoup de gens le travail perd complètement son sens, et alors on se pose les questions que tu t’aies posées.
Beaucoup de salariés aiment leur travail, ils fait sens pour eux, ou ils voudraient qu’il fasse sens. Il y voient une utilité sociale, et une utilité pour eux, ils se sentent bien avec leur collègue.
Le problème c’est quand le travail ne nous appartient plus, que le patron fixe toutes les règles. Quand ça devient trop pesant, le mal être extrême au travail, comment faire changer les choses ? Quand le sens nous échappe ?
Le boulot du syndicaliste, c’est d’accompagner à faire en sorte que le travail fasse sens, et qu’on le défende collectivement. Cette unité des salariés se fait souvent sur les conditions de travail plus que sur la rémunération. Quand le patron vient rajouter une dégradation supplémentaire aux conditions de travail, la goutte d’eau fait déborder le vase. C’est super intéressant quand les salariés décident de se réunir, ils se questionnent (le sens, l’activité etc).
La première fois que j’ai fait grève, c’était ma première expérience de syndicat, la plus marquante. Je travaillais dans une entreprise de distribution de l’eau. On était dans une entreprise qui devait être rentable, on devait travailler de plus en plus. Il y avait des astreintes, dont pour réparer les fuites, ou les pannes. Le patron un jour décide de changer les astreintes. C’est à dire accentuer les mauvaises conditions de vie à la maison, car on est toujours proche du téléphone, prêt à partir, on ne peux pas bouger et être libre.
Il y avait deux services, eaux potables et eaux usées. Il y avait donc les employés « propres et les sales ». La direction nous demandait d’augmenter la productivité pour ne pas perdre les marchés, et pour cela elle accentuait la distinction entre les employés du propre et ceux du sale, la compétition était croissante entre les deux groupes.
Les astreintes du service eau potable ont augmenté. C’est pas une vie d’en faire plus.
Et on a enlevé celles de ceux qui sont dans l’eau sale. Et eux allaient perdre donc 150e par mois.
Et le seul moyen, ca a été de se parler. Il n’y avait jamais eu de grève dans cette boite. C’était pas la pire des boites socialement. Mais là il n’y avait pas d’autres solutions. On avait peur qu’il y ait peu de monde. Et finalement on était 80. Le service n’était donc plus fourni.
Les sales et les propres ont du discuter. Et se sont rendus comptes qu’ils étaient dans la même merde. On s’est rendu compte que les salariés étaient capables de décider et d’organiser leur travail. Mais aussi de s’organiser pour la grève, les pneus, le brasero, la bouffe… Chacun a pris sa place dans cette grève. Chacun s’est astreint autrement, et s’est mis à travailler hors système, pour une autre communauté.
Le travail peut être émancipateur et devrait l’être en tout cas. L’humain a besoin de travail. On peut l’appeler activité. Et il ne peut pas changer son environnement seul. Il a besoin de trouver sa place.
Du coup c’est pas le rapport au travail qu’il faut changer. Mais pour qui on travaille, et comment. En l’occurrence si notre travail est capté ou non par un patron.
Dans notre système on ne récupère pas le fruit social de son travail. C’est pour cela que le syndicalisme est là. Le fondement de la CGT c’est l’abolition du salariat. Et mettre en place un travail qui serve le bien social. Et pas des emplois pourris pour tous. On réclame un travail qui fait sens pour chacun. Et que chacun puisse se déterminer par rapport à ses envies, et non par rapport au système. Un artiste, travail d’utilité sociale, doit être reconnu comme un travailleur. Et l’idée c’est que ce que tout le monde puisse servir l’utilité sociale.
Le mal-être au travail, c’est souvent le travail empêché, qu’on ne peut pas faire comme on voudrait le faire. L’argent c’est du temps. C’est qu’un moyen d’échanger du temps de travail entre nous. Ce qui fait le prix des choses c’est le temps de travail. On vend notre temps, et on nous donne en échange de l’argent, qui n’est que le temps de travail de quelqu’un d’autre.
Dans un autre type de société que moi je souhaiterais, c’est de pouvoir choisir son travail.
Grèves dans la fonction publique territoriales
Je suis assez convaincue que le travail est utile socialement et fait sens, mais en meme temps je me rends bien compte de l’aliénation, notamment dans le cadre du capitalisme.
Il y a un rapport de domination, entre patrons et salariés, et contrairement à ce qu’on veut nous vendre, on n’est pas dans un rapport d’égal à égal.
On a mené une lutte victorieuse, mais peu importe, ce qui compte, et c’est comme ça que je conçois le syndicalisme, c’est que pendant ce temps de lutte, on a arrêté de se résigner. Et on a vu qu’individuellement et collectivement, on avait un pouvoir.
A la piscine de Tulle, il y a 8 collègues, pas militants, pas syndiqués, peu politisés. Des parcours similaires, même âge, un groupe très soudé de par leurs caractéristiques communes et leur métier en commun (MNS). Le goût du service public, envie d’apprendre aux autres la natation, c’était pas un hasard s’ils étaient là. Et une bonne motivation, et critique des « fonctionnaires », même s’ils l’étaient eux-mêmes. On avait peu de contact avec eux car ils étaient contents, et motivés par leur travail, et critique de la lenteur des fonctionnaires, ce qui n’est pas ma tasse de thé habituellement.
Puis il y a eu un changement organisationnel, ils se sont retrouvés à 7. Leur planning a été bouleversé. Ils ont appelé un syndicat, non pas pour la lutte, mais pour savoir ce qu’il était possible de faire, notamment en disant qu’à 7 ils étaient dans l’illégalité. Ils croyaient que ça suffirait de rappeler la règle pour convaincre les patrons de repasser à 8.
On savait (en tant que syndicats) que ca ne suffirait pas.
Mais ça touchait leur vie. Ils se sont rendu compte qu’ils aller devoir passer plus de temps au travail. Et sans en avoir le choix. Ca ne leur plaisait pas…
Echec. La collectivité répond qu’elle n’a pas l’argent. Ils ne sont pas écoutés. Mais veulent être entendus. Ils ne comprennent pas qu’on ne leur fasse pas confiance. Ils se sont réapproprié les choses, en disant qu’ils savent mieux que leur directeur ce dont ils ont besoin pour que le travail soit bien fait.
Ils ont commencé à aborder la question de comment collectivement ils allaient pouvoir faire basculer la situation. Ils étaient très soudés, même s’il y avait des débats.
Ils en sont arrivés à la solution, de mettre en place un rapport de force. Même s’ils ne l’ont pas appelé comme ça. Ils voulaient que leurs bons arguments soient enfin entendus. Le rapport de force, c’était la grève, même si on aurait préféré ne pas en arriver là. Ils ont fait attention de faire grève pendant les activités de loisirs (et non pendant les temps avec les scolaires). Donc l’argent pendant ces temps de grève ne rentrait plus dans les caisses de la collectivité.
Avec ce rapport de force, ils ont eu un demi poste en plus. Ce qui ne changeait pas trop leurs conditions de travail, c’est plutôt victorieux, mais la victoire n’était pas là, mais dans la façon dont ces personnes éloignées des formes d’organisation et des luttes, qui ne se posaient pas la question du travail, se sont finalement organisées pour faire bouger les lignes.
Ils ne sont plus la petite entreprise de jeunes gens dynamiques qu’ils étaient avant. Ca leur a permis de rencontrer les autres fonctionnaires qu’ils décriaient. Et que ce n’était pas déconnant cette histoire de lutte.