Le Cycle Travail

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Ecritures – Premiers jets

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CYCLE TRAVAIL « Ecritures » N°1

COMPILATION

Premiers jets – juin 2017

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Écrit 1 :

Je ne sais pas vraiment ce que j’attends du travail, en tant qu’emploi. Il y a une partie de moi qui aimerait trouver un emploi qui a du sens, travailler avec des personnes que j’apprécie. Avoir un emploi épanouissant qui me permette de vivre et de me réaliser en tant que personne. Pas juste travailler pour pouvoir payer son loyer, sa bouffe et avec le peu qui reste ses loisirs. Je pensais avoir réussi à trouver un emploi qui correspond à peu près à ces critères. Pourtant j’étais insatisfaite, j’arrivais à un moment où ça n’a plus de sens pour moi ou pas suffisamment. Après quand je réfléchis à comment je suis entrée dans l’emploi, c’était plus par besoin que par envie. Comme si c’était quelque de chose de naturel. Quand je suis sortie du système scolaire, je n’avais pas d’envie, pas d’ambition particulière. Je me rappelle de ma conseillère d’orientation qui m’a clairement dit que ce n’était même pas la peine de penser aller en « Général ». Elle m’a fait remplir son Qcm qui aller décider de mon avenir. Comment peut-on savoir à 16 ans ce qu’on veut faire de sa vie. On a encore rien vu. On ne connaît rien de la vie. On ne nous apprend pas à appréhender la réalité de la vie. Et on est en constante évolution, nos envies changent. Ce n’est que maintenant que je commence à avoir des envies et la volonté de les réaliser. Si j‘ai commencé à travailler, c’était parce que j’avais besoin d’argent pour pouvoir prendre un appart avec ma pote, pour s’amuser et surtout s’émanciper. Même si c’était souvent chiant ça me convenait, je savais pourquoi je le faisais. La colocation terminée, mon rapport au travail a été plus difficile. Ça n’avait plus de sens. Je ne savais toujours pas ce que j’avais envie de faire. C’est arrivé à un moment où tous mes repères et mes habitudes étaient en train de changer. Alors je me suis raccrochée à ce travail en me disant que c’était la seule chose de stable que j’avais. Mais ça n’allait pas non plus. Je n’avais que le travail qui me faisait sortir de chez moi et les interactions sociales que j’avais, étaient via le travail. Je pense avoir accordé beaucoup trop d’importance à ce travail et c’est aussi en partie pour ça que j’ai eu du mal à le quitter. C’est à ce moment que j‘ai voulu trouver un nouveau projet, un nouveau but : partir au Japon faire un séjour linguistique. Apprendre une nouvelle langue, partir dans un autre pays, sortir de cette routine. Je me disais que si je travaillais c’était pour pouvoir partir. Du coup, j’ai augmenté mes heures, mis de l’argent de côté. Ça a mis pratiquement trois ans à se mettre en place. Durant cette période, pas mal de choses avaient changé. Ma responsable et mon collègue s’en allaient. Ce qui m’a fait du bien, je n’avais plus à faire ce que les autres ne voulaient pas faire, j’avais de nouvelles responsabilités, je me sentais capable. J’ai vraiment commencé à apprécier mon boulot, à y trouver ma place. Mais sur le long terme cela ne me convenait toujours pas. Même si c’était devenu moins dur, j’avais toujours ces périodes d’angoisse et de colère. Ça faisait 3 ans que je travaillais pour pouvoir partir. Même si c’était pas six mois mais un seul, et que ce n’était pas un séjour linguistique mais du woofing. Il fallait absolument que je parte. Alors je suis partie et je me suis rendu compte que j’étais capable de pas mal de choses finalement. Que l’inconnu n’était pas si effrayant que ça. Après être revenu de mon voyage, ce n’était plus pareil. J’ai tout de suite baissé mes heures, car je ne supportais plus de travailler, d’être simplement là-bas, de sourire tout le long de la journée, jouer la comédie. J’avais l’impression de ne pas seulement vendre ma force de travail mais moi toute entière, je faisais partie de la marchandise. Même si il y avait une partie de moi qui apprécier la proximité que je pouvais avoir avec la clientèle, c’était devenu trop lourd. J’arrivais la fin, j’ai vu ce qui il y avait voir. Maintenant j’ai simplement envie d’avoir le temps d’expérimenté de nouvelles choses. De travailler en tant que bénévole dans une ressourcerie, faire une formation d’agent d’entretiens du bâtiment, pas pour en faire mon métier juste pour apprendre. J’ai envie de gérer mon temps comme je le souhaite, avoir une certaine liberté . Mais sortir de l’emploi reste quelque chose de difficile. Je suis confrontée à la peur de perdre ce que j’ai réussi à obtenir : autonomie, indépendance et de me retrouver face à quelque chose que je ne connais pas. C’est très déstabilisant de voir le poids que peux avoir l’emploi. Si j’ai quitté l’emploi, ce n’est pas pour arrêter de travailler. Je travaillerai à ce qui me parait juste et utile pour moi, comme pour les autres. Je souhaite juste avoir le droit de décider pourquoi je travaille, pour qui et comment. Du coup, je ne sais que j’attends vraiment de l’emploi, je sais juste que là je n’en veux pas.

Écrit 2 :

Réponse à des questionnements sur le travail

Quel a été mon rapport au travail jusqu’à aujourd’hui ?

Aujourd’hui, c’est le moment de ma retraite. Mon rapport au travail, depuis l’âge de 17 ans, a été paradoxal, compliqué. C’est le paradoxe qui domine toute ma vie : faire face à ce que je pense être ma responsabilité avec beaucoup d’indépendance, donc « gagner ma vie », « faire ce que je dois faire ». C’est aussi l’injonction familiale que j’ai intégrée tout en me révoltant contre, je viens d’une famille très modeste. Et en face, mon désir de liberté, ma fantaisie, ma flemme, qui me poussent à refuser violemment qu’on me vole mon temps, qu’on me contraigne dans l’espace et dans le temps, et aussi qu’on m’oblige à faire des choses qui me mettent dans l’incohérence. J’ai été souvent en colère au travail, collectivement ou seule. En particulier quand j’ai travaillé dans le secteur de la Santé, mais aussi dans la Culture et dans le domaine politique. J’ai toujours quitté mes emplois pour fuir ces contradictions. Je suis restée dans mes emplois entre 1 jour et 7 ans, toujours à temps partiel choisi. Le paradoxe réside dans le fait que c’est aussi dans le travail que j’ai exercé ma liberté et ma fantaisie, même ma flemme d’ailleurs, en cherchant des « trucs » pour bosser moins. Ce sont les collectifs de travail qui m’ont apporté beaucoup, ce qu’on met en œuvre à plusieurs pour exister au boulot, pour créer, l’amitié des rapports de travail, la solidarité, la connivence, c’est stimulant, je me suis beaucoup amusée au travail. C’est donc cela le paradoxe qui marque mon rapport au travail comme il marque mon rapport au monde.

Qu’est-ce que j’attends aujourd’hui de mon « travail » ou de ma retraite, de mon activité ou de mon chômage ?

Pouvoir exercer ma liberté, mettre tous les aspects de ma vie en cohérence, être dans cet effort-là pour la fin de ma vie plutôt que de mettre mon énergie dans l’effort pour me débrouiller avec l’emploi par obligation financière, par convention. La retraite vécue par moi comme un salaire à vie me le permet à partir d’aujourd’hui. Je dois pouvoir faire par choix, pour me sentir vivante, non pour gagner de l’argent ou avoir l’air adaptée socialement.

Comment mon activité s’organise-t-elle ? Comment je l’aimerais à l’avenir ?

En tant que femme, même si j’ai pensé l’oppression et lutté contre, je suis programmée pour faire pour les autres. Mes activités se sont beaucoup organisées autour des besoins des autres, bien que je n’aie pas fait d’enfant, volontairement. Je souhaite profiter de la fin de l’emploi qui correspond à ma « retraite » pour rester en activité parmi les autres, mais en partant plus de mes désirs profonds. C’est un effort à faire aujourd’hui pour moi, un « travail », en quelque sorte. Cette difficulté à réconcilier vie collective et ce que je pense être « moi » est grande.

Quel est mon rapport à l’argent ? Est-ce que j’en gagne ? Si oui pourquoi faire et d’où vient-il ? Si non comment ça se passe ?

J’ai toujours eu peu d’argent, souvent volontairement. Je trouve l’argent encombrant psychologiquement. Mais j’ai toujours vécu avec mon propre argent, soit gagné dans l’emploi, ou le chômage ou cette année la retraite. Je me rends compte que j’ai toujours été à la limite du manque, j’ai vécu cela comme une liberté malgré les moments de tracas, je ne reste jamais dans une situation pour l’argent, ni dans un emploi, ni dans un lieu, ni dans une relation avec quelqu’un. J’ai pu avoir cette attitude du fait de ne pas avoir d’enfant « à moi », cela permet beaucoup de choses. Sur le plan de l’argent, mes meilleures années ont été lorsque j’ai travaillé dans un pays socialiste où la question de l’argent comptait très peu. Nos besoins étaient couverts par la société, on ne parlait pas d’argent, on ne faisait rien pour de l’argent. Cette expérience m’a montré que c’est tout à fait possible de dissocier travail et salaire car je l’ai vécu et beaucoup de copains autour de moi l’ont vécu. On travaillait beaucoup, l’argent n’intervenait pas dans notre participation au travail vécu comme un engagement et un lien aux autres.

Écrit 3 :

J’ai travaillé en tant que travailleur indépendant (vétérinaire libéral classique) pendant 25 ans puis en tant que salarié d’une coopérative agricole (vétérinaire conseil) pendant 12 ans. Entre les deux, j’ai tenté une reconversions dans le domaine de l’écologie, que je n’ai pas réussie pour ne pas avoir osé une formation de niveau élevé dans ce domaine règne de la surqualification.

Je ne me suis pas senti libre du tout dans l’exercice libéral:

  • j’étais pris dans une concurrence très dure

  • j’étais en état de disponibilité permanente par rapport à une clientèle elle-même prise dans le système de l’agriculture productiviste et donc en été permanent de frustration

  • j’étais réduit au rôle de  »pompier de service », c’est-à-dire à la médecine curative de réparation des dégâts au moindre coût

  • je ne pouvais pas orienter mon action comme je le souhaitais vers la médecine préventive (sauf dans un petit groupe de médecine conventionnée que j’avais créé mais qui n’a pas pu s’étendre suffisamment)

  • j’étais pris dans le système mortifère du paiement à l’acte, incompatible avec une réelle médecine (aussi bien en médecine humaine qu’en médecine vétérinaire d’ailleurs!)

  • je n’ai pas réussi à trouver le bon équilibre entre mon envie de rendre service aux gens et me faire payer et au final je me suis auto-exploité.

Je me suis senti nettement plus libre en tant que salarié:

  • protégé par mon diplôme et en position dominante

  • mais surtout ayant la possibilité de travailler en équipe (avec les techniciens de la coopérative et les agriculteurs), de faire de la médecine préventive et sorti du système de paiement à l’acte.

Cependant:

  • j’étais toujours pris dans les contraintes du système productiviste

  • je voyais chez mes collègues autour de moi se dégrader les conditions de travail (savoir quoi faire à son poste et en être empêché avant tout).

Il reste que je me suis toujours senti empêché de réaliser ce que j’avais vraiment en moi et contraint par la nécessité de  »gagner ma vie ». Je suis vraiment libéré par ma situation de retraité (qui continue à travailler/produire).

Enfin, ma contribution  »libre »:

Pour moi, ce qui empêche la société d’évoluer, c’est le sentiment d’impuissance et c’est donc contre lui qu’il faut lutter. Pour ce faire, il faut comprendre le réel (par opposition à croire à un récit/catéchisme du monde) et entrevoir une lumière/porte de sortie, les deux étant intimement liés.

Dans l’évolution du concept de travail telle que tu l’as très bien présentée lors de la première réunion, il manquait selon moi une marche permettant justement de sortir du récit capitaliste du monde. Cette marche consiste à déconnecter salaire et travail, soit changer le mode de production. Cela revient à faire la révolution en passant du capitalisme au communisme de même que cela s’est produit lors du passage du féodalisme au capitalisme. Une étape importante de cette révolution a été franchie en 45/46 lors de la création du système de sécurité sociale qui gère actuellement 30% de notre PIB.

Deux questions en fin de réunion battement d’aile/magasin général soient  » n’y a-t-il pas contradiction entre sortir du système et financer cette sortie par des alloc ou un salaire du système » et  »comment passer du micro au macro économique pour sortir du système » ont mis en lumière la nécessité pour libérer le travail de mutualiser la valeur économique au niveau macroéconomique.

Cependant, ceci focalise la réflexion sur la valeur économique soient création de la valeur et maîtrise totale de cette dernière par le peuple et seulement par lui. La dernière réunion du cycle (sortie individuelle/syndicalisme) pose le problème, à partir de l’opposition/complémentarité entre tradition cégétocommuniste et tendance moderne du faire, des articulations valeur économique/valeur d’usage, travail abstrait/travail concret et au delà de la possibilité/impossibilité de bâtir une société (macro société de 70 millions par exemple avec systèmes de santé, d’éducation, etc…) uniquement en valeur d’usage.

Et puis, libérer le travail ne fait pas tout. Restent entiers les problèmes de domination… 

Écrit 4 :

J’ai l’impression que la question du travail (au sens « emploi », « travail abstrait ») des femmes amène une contradiction entre valorisation du travail concret (comme on l’a bcp fait pdt le cycle) et émancipation par le travail (qu’on a finalement assez peu abordé, on est plus resté du côté de l’aliénation il me semble).


Je m’explique : il y a parfois des débats politiques sur la nécessité ou non de rémunérer le travail au foyer. C’est un exemple parfait de travail concret, que la société valoriserait par une forme de salaire, actant qu’il représente un temps non négligeable et nécessaire au fonctionnement social/familial. C’est un peu se qui se passe aussi dans certains pays scandinaves, ou au lieu de financer des crèches, ils donnent aux parents qui s’occupent de leurs enfants jusqu’à 3 ans un revenu suffisant pour vivre (contrairement à notre congé parental à 400€ par mois). Or du point de vue féministe j’ai toujours été super opposée à ces idées. Bien sûr si ça se fait aujourd’hui, ce sera vendu comme « le travail au foyer et/ou la garde des enfants peut parfaitement être effectué par un homme », mais dans la pratique ces questions là sont toujours soulevées par des problématiques liées aux femmes.

Perso je préfère 1000 fois qu’on me garde mon gosse et que je puisse aller bosser, plutôt qu’on me paye pour le garder. Et je dirais pareil si j’étais un mec (c’est à dire que ce n’est pas seulement un point de vue de féministe qui n’a pas envie de jouer la femme au foyer, mais quelque chose de plus large, un rapport aux activités qui remplissent la vie). Je pense que tout ça touche à la dimension d’émancipation par le travail. Le travail abstrait te fait sortir de chez toi, rencontrer des gens, t’ouvre à d’autres sphères sociales que celle du foyer, t’insère dans la société… peut-être même parfois t’amène à te dépasser? (mais j’avoue je ne sais pas trop ce que ça veut dire le dépassement de soi…)


Alors bien sûr, dans l’émancipation décrite ici, il y a une part de convention/pression sociale : c’est mal vu de ne pas bosser, la société n’est pas organisée comme ça, du coup t’es en décalage si tu ne t’insères pas dans le flot et le rythme des travailleurs… Il y a aussi une dimension complètement subjective : on peut se dire que selon le métier que tu fais, c’est plus sympa/intéressant/épanouissant d’aller travailler ou de rester à la maison, et que ma réflexion est brouillée par mon appartenance à une classe sociale me permettant un emploi que j’ai choisi et qui me plaît.

On peut aussi dire que c’est le salaire qui faire la différence, dans la question du travail des femmes : que l’autonomie financière permet une plus grande liberté, une plus grande égalité… et que c’est donc bien la question économique (recevoir une forme de revenu pour le travail accompli) qui est centrale, plus que celle de l’émancipation.

Mais je sais pas, j’ai l’impression qu’au delà de ces trois objections, et malgré le fait que les femmes n’occupent pas des postes aussi valorisés que les hommes, et sont payés moins à poste équivalent, le travail des femmes reste historiquement une histoire d’émancipation (ou alors elle est juste décrite comme telle, et c’est encore le signe d’une façon de penser et d’un champ de recherche orienté par le capitalisme?), et que beaucoup de femmes se sentent plus libres en se levant le matin pour faire un boulot de merde avec un patron sur le dos, qu’en restant chez elles (là encore, à vérifier). Aucune certitude là-dessus donc, mais peut-être quelque chose qu’on ne peut pas juste balayer d’un revers de la main? Qu’on pourrait creuser?

Bref, je suis pas du tout en mesure d’aller plus loin, n’ayant rien lu ni écouté ni discuté en lien avec ces questions là. Pour moi c’est juste une interrogation, amenée par la contradiction dont je parlais au début entre reconnaissance d’une forme de travail concret et émancipation par le travail abstrait.  Est-ce que ça pourrait être le point de départ d’une séance de travail sur la question de l’émancipation?

Écrit 5 :

S’accomplir

« Eugène Ionesco, êtes-vous déconcerté par le tour qu’a prit votre vie ?

*Non, pas tellement.

Je voudrais savoir si elle se réalise comme vous l’aviez prévu ?

*Comme je l’espérais. J’ai voulu, comme on dit me réaliser, c’est à dire me justifier, justifier mon existence, et c’est pour ça que j’ai fait de la littérature. Ceci dit, j’aurais voulu aller bien plus loin , parce que la littérature n’est qu’un pis-aller. Elle ne donne pas la connaissance suprême, c’est un moyen de passer le temps et de masquer vis à vis de soi-même un échec fondamental. La vie est un échec. »

Dans la multitude des formes que l’on s’invente pour faire face à l’absurdité de la vie, il existe toutes sortes de béquilles. Certains on besoin d’un cadre, d’autres ne peuvent pas le supporter et on besoin d’un rythme. Il n’y a là aucun jugement de valeur, personne n’est par nature un homme libre ou un homme soumis. Nos chairs ne vivent pas aux mêmes battements, ne souhaitent pas s’arrêter aux mêmes peaux pour se sentir quelque part, pour se sentir quelqu’un.

Mais pour tous,

s’accomplir c’est mourir.

Au fond je ne me demande pas ce que j’attend du travail, je me demande plutôt comment faire face aux problèmes qui vont avec « ne pas travailler ».

Rien ne m’apaise.

Enfant, j’aimais les coloriages pour cela, l’état de légère concentration, d’hypnose presque, au rythme de la respiration, de l’ennui aussi.

Quand on ne travail pas, et qu’on ne jouit pas de la fatigue par ailleurs monstrueuse qu’il procure, on fait face à un mur d’angoisse.

Et c’est le rythme et la mise en travail qui viennent répondre à ce mur là.

Un peu comme écrire pour le Cycle travail. S’y atteler, se lancer dans quelque chose, l’alimenter, le modeler, le partager, le définir, le détruire, le reconstruire….

Au fond il est impossible de ne pas travailler. Comme du bois qui travaille. On se tord, on se fend.

Ce sont les vacances qui sont si étranges. Ne rien faire, et cela pour le plaisir !?

La vacance dans le travail, dans la mise en jeu, la disponibilité, comme un assemblage qui a du jeu, qui bouge, ça oui !

Avoir du jeu, c’est passer à l’épreuve de la vie la matière inerte.

J’en parle à mon petit garçon, il a 5 ans, pour lui travailler c’est nul parce qu’on peut pas changer son métier, parce qu’on peut pas apprendre tout en même temps.

Et aussi parce que c’est compliqué et qu’il faut savoir qui est le chef.

Penser sans l’argent.

Penser les choses de manière plus essentiel, sans jeux de pouvoir.

L’argent ne peut être penser comme une matière. Avant tout, ça n’en est pas une, ça n’est que la promesse de la matière.

Quand on cherche à penser avec l’argent, on en vient toujours à des «mais il faut bien… ».

Peut être faut-il penser sans lui, pas s’en passer, mais plutôt s’en débrouiller, s’en dépêtrer. Car une de ses multiples noirceurs, c’est de paralyser l’imaginaire. L’argent se revendique comme terrestre. « C’est bien beau ce que tu dis mais il faut bien être réaliste. » Il est pourtant tout sauf réel, tout sauf terrestre. L’argent est lunaire. Il est offshore. Il n’a rien à voir avec le monde ni avec son essence.

Se débrouiller pour en avoir le moins possible besoin, tout en étant bien. Se débrouiller pour en avoir le moins possible envie, pour être bien.

Le mettre en marge de la pensée le temps de penser un rapport plutôt qu’un système.

Une partie de réponse aux besoins matériels est de s’organiser à plusieurs. Les formes collectives, la mise en commun, l’utilisation partagée… ça allège le lourd, le concret, le nécessaire. Et pourtant c’est loin d’être suffisant.

La colocation.

En Amérique du nord, beaucoup de gens qui tentent de survivre financièrement habitent en colocation. Cela se résume à se croiser assez rarement, partager le loyer, les factures. Point.

Chacun cuisine pour lui-même avec les ingrédients provenant de sa partie du frigo, ceux pour lesquels il a payé. Chacun ramène aussi son rouleau de PQ dans sa chambre pour éviter qu’il ne soit utilisé par les autres.

Oui le loyer est moins cher, mais expérimenter ce genre de colocation m’a rendu profondément triste, voir désespérée.

Oui le loyer est moins cher, mais il manque cependant le principale. Il manque l’esprit.

Il faudrait penser avec ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, avec le dedans et le dehors, pour que ce rapport ne soit pas juste un témoignage individuel, inutile aux autres. Il faudrait le prendre en étau ce rapport avec ce qu’en connaissent ceux qui travaillent et ce qu’en connaissent ceux qui ne travaillent pas, avec les expériences, et les cadres qu’on a choisi ou que l’on a fabriqué.

Un étau pour pouvoir le travailler ce rapport, car quand il y a trop de jeu, et qu’il bouge tout le temps, on ne peut rien en faire, il se dérobe.

C’est peut être un peu ça le Cycle travail, cet étau.

Ce ne sont pas des modes de vie qui s’affrontent, des conceptions du monde qui diffèrent, ou des logiques qui se contredisent.

C’est l’idée, que chacun se fait de « s’accomplir », qui diverge.

Nous avons beaucoup de choses à inventer du côté de ce que l’on attend de nos vies.

Il faut changer le cœur tout autant que l’organisation du travail. Ou plus juste, il faut changer le cœur, pour savoir comment organiser le travail. Car aucun changement organisationnel ne saurait atteindre la question du cœur, si ça n’est pas de lui qu’il naît.

Écrit 6 :

J’ai réussi des études jusqu’à obtenir un diplôme de niveau bac+4 sans réelle difficulté. Je les ai poursuivies parce qu’elles me plaisaient et en raison de l’appréhension liée à l’entrée dans ce que l’on nomme la « vie active », précédée à l’époque par le service national. Cela nécessitait de l’implication mais résultait en partie d’un évitement.

Le service national fût une épreuve (un semi-esclavage en réalité, même si les conditions étaient plutôt bonnes). Et mes expériences professionnelles furent très limitées : un CDD de six mois et un CDI interrompu au bout de quatre mois. Elles furent très difficiles à vivre. Lors de ces périodes d’activité professionnelle, je n’étais pas apte à avoir une vie personnelle ; j’étais envahi par l’emploi, activité exogène. On ne peut tenir qu’un temps limité dans ces conditions. Mon dernier emploi fut abrégé pour ces raisons par une démission. Une question de survie.

Il a alors été clair en moi que je ne pouvais pas travailler, même si cela me paraissait iconoclaste, aller à l’encontre de ce que la société attend des individus qui la composent, lesquels sont censés, non seulement subvenir à leurs besoins financiers par leur travail (à moins de dépendre d’autres personnes telles conjoint ou parent en particulier), mais aussi être identifié à un statut que confère l’activité professionnelle (ou ménagère pour la « femme au foyer »), à moins d’une situation particulière (chômage, etc.) relevant de la solidarité nationale. J’ai donc pris acte d’une situation, c’est-à-dire que je ne devais pas travailler, donc que je ne travaillerai pas.

Il s’agit d’une situation subie et non d’un choix de vie délibéré, même si passer ma vie à travailler 39 heures par semaine (à l’époque), consacrées à une activité qui ne me concernait pas et était comme hors de ma vie tout en empiétant très fortement dessus, me paraissait irréel. Je m’y suis prêté plus ou moins au début, sous la contrainte, en raison de la nécessité d’avoir un revenu.

Après cette démission, j’ai vécu durant huit ans avec le RMI et l’allocation logement et, ayant vendu ma voiture qui m’était peu utile, je m’en sortais plutôt bien financièrement. Il est vrai que j’avais des frais de logement très faibles. C’est même durant cette période-là que j’ai commencé à manger 100 % bio et hors grande distribution. La faiblesse de mon revenu n’a pas été un frein à la mise en œuvre de ce choix. Je parvenais aussi à mettre un petit peu d’argent de côté. Je vis seul.

Sachant que mes difficultés au travail résultaient de troubles plus larges, d’ordre psychosociaux, les assistantes sociales étaient compréhensives et ne cherchaient pas à tout prix à me faire sortir du dispositif par une entrée forcée dans l’emploi. Lors d’un des premiers entretiens, j’ai clairement indiqué que sans l’octroi du droit au RMI, je n’aurais aucun revenu et que la conséquence serait la dés-insertion (le I de RMI signifiant insertion), ce qu’il convient d’éviter avant d’envisager une meilleure insertion (dans l’activité professionnelle ou autrement). Mais probablement étaient-elles soumises à une pression des instances supérieures, ou certainement savaient-elles que le RMI ne pouvait être perçu éternellement, et il convenait de trouver une solution. Dans ces conditions, j’ai envisagé de solliciter une reconnaissance de handicap. On m’avait mis en garde quant à la connotation négative de cette situation, potentiellement discriminante dans l’esprit de nombreuses personnes, et quant à ma capacité à assumer ce statut officiel de handicap. La reconnaissance de handicap m’apparaissait comme la seule issue, donc j’ai franchi le pas.

Depuis 2006, je vis avec l’AAH (allocation adulte handicapé) assortie de l’allocation logement, soit actuellement un peu plus de mille euros par mois (et quelques avantages), somme qui me paraît correcte.

Financièrement, je vis donc correctement sans avoir d’activité professionnelle et sans nécessité d’en rechercher une. Un jour, on m’a dit que j’avais « de la chance de ne pas travailler » (sous entendu en percevant cependant un revenu). C’était une vision étroite de ma situation, n’en considérant qu’un aspect. Car un handicap est reconnu lorsque les difficultés sont suffisamment invalidantes. Le revenu ne va pas sans cela. Et, tout considéré, je doute que ma situation soit enviable, même s’il est indéniable qu’elle induit cet aspect (très) positif. En effet, ma vie sociale et mes réalisations concrètes sont fortement entravées par ces difficultés — qui sont des limitations —, et sont ainsi moins développées qu’elles le pourraient sans cela. J’ai toutefois une vie intérieure riche, des intérêts voire des passions que je parviens à assouvir au moins partiellement. Je ne m’ennuie jamais, et je me sens vivre, ce qui ne m’était pas possible lorsque je travaillais. Si une société a pour objectif de rendre chaque individu qui la compose aussi heureux que possible, cette reconnaissance de handicap assortie du revenu afférent constitue pour moi la solution adaptée.

J’assume plutôt bien ma situation, ce statut de personne handicapée. J’assume ce que je pense, j’assume qui je suis avec mes qualités et mes défauts, mes forces et mes faiblesses. Je sais que je ne vaux pas moins que quiconque au prétexte de ce handicap d’une part, et de l’absence de statut professionnel d’autre part.

Un travailleur social m’a dit un jour que la société devait accepter que certains de ses membres soient inaptes à une activité professionnelle. Ces personnes ont toute leur place au sein de la société, même si ce qu’elles apportent n’est pas mesurable.

En novembre 2017, je n’aurai pas eu d’activité professionnelle depuis vingt ans. Et je ne pense pas que cela change un jour.

Enfin, la relative faiblesse de mon revenu s’accorde à la démarche politique dans laquelle je suis inscrit depuis longtemps, à savoir la décroissance, donc, au niveau individuel et pratique, la simplicité. Et sur ce point, mon témoignage rejoint certaines interrogations formulées lors des séances du cycle travail, puisque je considère qu’une logique salutaire consiste à consommer moins pour travailler moins, et travailler moins pour vivre mieux. Dit autrement, lorsque l’on souhaite travailler moins pour vivre mieux, il faut consommer moins (et éviter l’endettement qui emprisonne). Et lorsque l’on s’inscrit dans une logique anticapitaliste, je crois qu’on trouve là une cohérence supplémentaire.

Je pense aussi, puisque l’activité professionnelle est largement liée au besoin d’argent, qu’il est important d’essayer de dépenser moins que son revenu, de manière à mettre un peu de côté et d’être ainsi moins dépendant, donc de pouvoir faire grève quand cela s’avère nécessaire, voire démissionner. Là encore, cela ne signifie pas travailler plus pour gagner plus, mais consommer moins. S’affranchir de la consommation « excessive » octroie une liberté supplémentaire, et pas uniquement sur le plan financier.

Une remarque pour terminer. Lors d’une séance du cycle travail, a été discutée l’étendue de la sphère au sein de laquelle l’usage du terme « travail » paraît adapté. Si je fais mon jardin potager, que je rénove une pièce de mon logement, je crée de la valeur d’usage, cela n’en fait pas un travail ?

Écrit 7 :

Je répond bêtement aux questions posées :

Quel a été notre rapport au travail jusqu’à aujourd’hui?

J’ai toujours été très actif, j’ai rarement eu une approche sectorisante ou cloisonnante dans mes activités. Fournir des efforts ne me dérange pas, je crois même que j’aime ça mais pas tout le temps, pas pour rien, pas pour quelque chose dont je ne saisi pas le sens.

Du coup mon quotidien a toujours été rempli d’activités et selon les phases de vies dans lesquelles j’étais ces activités s’organisaient bien différemment.

Jusqu’à 20 ans : dos rond et scolarité : ça s’était le travail merdique mais consenti. Effort relatif côté mise au travail pour avoir de bonnes notes. Sens perçu relatif aussi.

L’effort était important du côté de l’acceptation en attendant d’être plus autonome.

Pendant cette période j’ai mis beaucoup, beaucoup d’énergie et de concentration à travailler mon basket. La musculature, la souplesse et la tonicité de mon corps. La technique et les fondamentaux basketballistique. Le QI basket, l’organisation du jeu et les systèmes. J’étais au boulot tous les jours, il n’y avait pas de sens à ça mais beaucoup d’ivresse et de plaisir. Et puis j’ai commencé à m’ennuyer alors j’ai arrêté.

J’ai l’impression d’avoir beaucoup travaillé dans cette période là (de 6 à 20 ans)

De 20 à 26 ans : La retraite hyperactive, hyper-stimulante et libératrice. Le travail salarié comme moyen de financer les activités essentiels, la suite du programme.

En gros 35 h de salaria et 35h de bénévolat. Le travail salarié avait une fonction de formation rémunérée pour un hypothétique futur métier (qui d’ailleurs est devenu une passion qui jamais ne m’a rémunéré mais occupe aujourd’hui une grande partie de mon temps : aménageur-paysagiste et paysan : ma clé pour l’autonomie). Le travail salarié me permettait une tranquillité relationnelle avec mes parents et finançait mes engagements associatifs (nombreux, déterminés, passionnés). Ces engagements me demandaient beaucoup de rigueur et d’organisation. En fait c’était la partie la plus contraignante/exigeante de mes activités et, avec le recul, la plus constructive et émancipatrice.

Mes potes disaient que j’étais hyperactif, un bourreaux de travail limite dangereux. En fait je profitais de ma vigueur pour fabriquer la suite, pour répondre à la rage émancipatrice qui encore maintenant est à l’œuvre en moi.

Beaucoup de boulot, assez peut de travail finalement.

Sur cette période : 2 ans en apprentissage, 2 ans et demis de salaria, 2 ans de chômage indemnisé. Que moi à m’occuper, donner forme à mes rêves, fabriquer une hypothèse de travail libre pour tout le reste de la vie.

De 26 à 37 ans : travail famille, travail cadre de vie, travail entreprise, travail collectif, travail lutte.

Sacrée période, la plus épaisse. Je n’ai pas échappé à la période dont les ainés me parlaient comme d’une phase inévitable où on court partout. La phase d’établissement : enfantements, installation dans une maison (que je rénove encore), vie de couple, boulot… .. A ça j’ai ajouté un ambitieux projet collectif, une activité individuel de maraicher, la rénovation d’une maison bien insalubre.

Et puis pas mal d’engagements associatifs.

J’ai travaillé comme une brute.

DE 37 à aujourd’hui (40) :

Plus cool bien que bien dense.

– Qu’attendons-nous aujourd’hui de notre « travail »? De notre retraite? De notre activité? Ou de notre chômage?

–Je n’attend rien de mon travail en tant que tel. C’est un moyen parmi d’autre pour subvenir à mes besoins (financiers, reconnaissance, créativité, rencontres, réflexions, perspectives nouvelles, expression personnelle) tout en remplissant quelques fonctions pour l’intérêt collectif et général. Moi la dedans j’essaie de ne pas perdre confiance et je reste attentif aux dérivent que peuvent induire les aléas des années qui passent et leur cortèges d’événements plus ou moins douloureux. J’essaie de faire évoluer mes activités pour évoluer dans un agencement qui me convienne (dans le cadre définit par des contraintes que je m’impose : ne pas penser qu’à ma gueule, être autonome au maximum, apprendre, transmettre, partager, « faire collectivement »)

–De ma retraite je ne sais que dire, c’est de la science fiction.ICI

–Mes activités me plaisent toutes tant qu »il y a un bon équilibre entre vivrier, familial, amical, collectif, solidaire et projectif. Tant qu’il y a un équilibre entre intellectuel et manuel, entre simple et complexe.

-Quand à mon chômage, il correspond, au même titre que les phases de salariat, à un moyen pour faire quelques pas de plus.

– Comment notre activité s’organise-t-elle? Comment l’aimerions-nous à l’avenir?

Une imbrication de tout grâce à une bonne logistique, très lié au rythme saisonnier. En gros :

-3 mois d’activité pour moi et ma famille (Voyages, réhabilitation et structuration de notre habitat, gestion forestière)

-9mois :

-d’engagement dans un collectif de travail pluri-actif

-d’activité de micro-ferme vivrière (autonomie alimentaire)

-de transmission à tout va

-d’engagement dans d’autres dynamiques « d’intérêt général et/ou collectif « 

Pour gagner des sous des fois je suis salariés, des fois chômeur, des fois je ne touche rien et dois me débrouiller.

Quel est notre rapport à l’argent? En gagne-t-on? Si oui, pourquoi faire et d’où vient-il? Si non, comment ça se passe?

L’argent n’est pas un truc qui m’affole, je suis issu de la classe moyenne. Je n’ai pas grandi dans l »abondance financière, enfant j’ai connu la pauvreté et petit à petit mes parents ont été plus à l’aise (ma mère plus précisément).

L’argent n’est pas un but mais un moyen. Parfois même une arme. Je pratique pas mal le troc, la récup, le système D et le DIY.

Je vis sur les terres agricoles de ma famille, j’ai donc des biens qui me permettent de conduire un petit élevage de volailles et moutons. Je peux produire mon bois de chauffage et du bois d’œuvre.

Je ne suis pas radin, pas économe, facilement prêteur, partageur, donneur.

Aujourd’hui je gagne suffisamment d’argent au regard de mes besoins. Çà n’a pas toujours été le cas, ma compagne et moi avons connu des moments très compliqués économiquement. Nous avons tenus car nous avons un toit et une vie qui nous va. Ma compagne travaille à mis temps, nous avons 3 enfants. Nos ressources légales cumulées sont actuellement d’environ 2200€, c’est très bien. Cette argent provient de la CAF : 600€ (la somme baissera drastiquement dans 1 an), des allocations chômage : 850€ (cet apports disparaitra dans 1an) et du salaire de Marie : 800€.

Cet argent me sert à subvenir :

-aux charges familiales (bouffe, fringues, loisirs, activités sportives et culturelles, maintenance de l’habitat, fluides, rémunération d’une nourisse 2jours et demi par semaine, frais de scolarité…)

-à la structuration de la micro-ferme (investissements, équipement…)

-à la rénovation de mon habitat

-à prêter à des copains

-à participer à une caisse de solidarité

-à donner à Green peace, sortir du nucléaire et je sais plus bien quoi d’autre (les bonnes œuvres c’est Marie qui gère… pas mal d’autre trucs d’ailleurs)

Par ailleurs entre 2009 et 2013 tous mes ainés sont morts (sauf mon frère), nous avons donc hérité de pas mal de sous :

-180 000 euros en 2009 : tout est parti pour participer à l’investissement et au fonctionnement du battement d’ailes : la dette commence à être remboursée en juin 2017 selon les capacités de l’asso

-90 000 euros au décès de mes grands parents : cette sommes est sur un compte joint que nous gérons avec mon frère en indivision. Cette argent nous sert à subvenir à des dépenses importantes (nous restituons la somme que nous empruntons. En gros on s’endette auprès de nous mêmes.

Ce capital doit selon nous rester stable car il nous permet de voir venir quant à notre hypothétique vieillesse (nous gagnons très peu d’argent par notre travail et avons un bien immobilier à entretenir), d’éventuels travaux que nous ne pouvons financer avec l’argent du quotidien.

Par ailleurs ce capital sert de fond de trésorerie pour les copains ou des projets que nous jugeons valables (pas les copains, les projets) et nous nous réservons le droit d’en donner un peu pour des investissements collectifs (terre de liens, nef, réserve foncière à Cornil, sci chemin faisant…)

En plus des sous nous avons hérité de 15ha de terres agricoles et de bâtit : 2 maisons sont en location à pas chère (argent qui alimente le compte joint pré-cité et qui permet de rembourser les réhabilitation de ces maisons, de payer les taxes foncières et immobilières et d’éventuels impôts).

Depuis deux ans mon frère et moi sommes imposables sur le revenu du fait des loyers perçus. Impôts très faibles au regard de nos revenus d’activité (300 à 400 €). En ce qui me concerne cet impôts n’aura plus court à partir de 2018.

Les terres quant à elles servent à des personnes plus ou moins proches pour y élever leur chevaux, leurs abeilles et/ou à habiter dans des habitats plus ou moins légers (caravane, yourte, cabane, mobile home : on a tte la gamme). Tout ce petit monde est accueilli sans contrepartie financière. Une de ces personnes à la délicate attention de donner une pièce en fin d’année pour participer à la taxe foncière. Du coup j’envisage de demander une participation, même symbolique à tous ( 3 éleveuses et 5 habitants).

Bon je m’arrête là mais il y a encore beaucoup à raconter sur les questions de propriété et tout le bazars qui se prépare concernant ces terres…

A suivre peut être

Écrit 8 :

- Quel a été notre rapport au travail jusqu'à aujourd'hui?

Arrivé au Travail sans trop y penser dans une sorte d'élan social (moral !?) immuable : école > travail > retraite.
Des débuts de travailleur comme un mal nécessaire pour pouvoir simplement vivre. Déjà le sempiternel "un travail pour gagner sa vie" est là comme une loi d'airain.
Puis face à la froide violence du travail, impossible à ignorer au long des années, le bide qui se tord, l'envie d'ailleurs (d'autres travails ...) plus acceptables et même pas idéaux...
Mais à la réaction succède la réflexion et aux hasards des conflits et des rencontres, la rage de montrer en plein jour notre trepalium quotidien et un outil, le syndicat, a porté de main.


- Qu'attendons-nous aujourd'hui de notre "travail"? De notre retraite? De notre activité? Ou de notre chômage?

Dans mon travail (salarié) actuel, de toute urgence que disparaisse le souffle froid de la marchandisation du lien social !
Dans le travail (salarié) en général, que les travailleur.se.s prennent le temps de réfléchir à leurs travails et d'en parler ensemble. Que le paradigme du travail (salarié) ne soit plus la subordination et son lot de compromissions.
Dans nos activités en général que disparaisse l'épée de Damoclés de l'argent.
Et advienne que pourra, que chacun, libéré, imagine des activités ! mais surtout pas de programmes !


- Comment notre activité s'organise-t-elle? Comment l'aimerions-nous à l'avenir?

Comme une majorité, mon activité s'organise autour de mon travail salarié, alimentaire. Tout autour de nombreuses activités m'occupent, certaines pérennes et d'autres plus éphémères, mais quelle qu'elles soient, elles s'articulent autour de mon travail principal. Les disponibilités et les envies sur ces activités subissent les aléas de mon boulot (devenant de merde) principal.
Certainement j'aimerai vivre pleinement ces activités secondaires sans devoir les "caser" durant des congés annuels ou des repos de cycle.
Peut-être même bien que ce soit plus que des activités secondaires ... mais pas un travail (salarié) non plus ... car faire rentrer une de ces activités (voir passion) dans ce moule risque bien d'en faire un pâle reflet (alimentaire) de ce qu'elle a été.


- Quel est notre rapport à l'argent? En gagne-t-on? Si oui, pourquoi faire et d'où vient-il? Si non, comment ça se passe?

Par simple inertie sociale, l'argent, j'en gagne pour tout bêtement vivre. Juste ce qu'il faut pour tout simplement faire ce que je veux faire. Mais sans envie d'en amasser jusqu'à la déraison.
Sur l'évolution du travail (à La Poste hein, je suis facteur après tout)

2001 dernier concours de facteur et sans rentrer dans une confrontation de statuts (puisque fonctionnaires et contractuel.le.s co-habitent déjà depuis quelques années) c'est le paradigme de l'administration qui doucement disparaît au profit de celui de l'entreprise.
Finis les arrivées collectives de jeunes provincia.ux.les dans les bureaux des grandes villes qui pouvaient permettre de tisser des liens de solidarités lors des premiers pas dans notre vénérable Poste. Solidarités se prolongeant pour certains en dehors car tout le monde était accueillis les premiers mois dans des foyers. Mais les foyers ont été revendus ...
Place aux arrivées individuelles, de jeunes locaux en CDD (ou intérim ou autres...) selon les besoins de remplacement ou le bon vouloir des ressources humaines. Et pour beaucoup la carotte du CDI mais loin, beaucoup trop loin pour la plupart. Ceux-là rentrent chez eux dès la tournée achevée et les échanges disparaissent et les collectifs se fanent.
Ainsi le management libéral s'est insinué petit à petit dans cette administration postale qui deviendra entreprise privée à capitaux public en 2010.
Et là changement de ton, finie l'administration humaine (même si loin d'être parfaite), bienvenue à l'entreprise privée et son lean management (Démarche Élan, ils aiment les anagrammes à la Poste).
Mesdames et messieurs, le courrier baisse il faut sauver le Titanic postal, jetons les factrices et les facteurs à la mer !
Et donc allons-y, réorganisation des tournées (à la baisse évidement)  tous les 2 ans avec des constructions de tournées grâce à un outil informatique plutôt que par un humain accompagnant le facteur sur le terrain, apparition d'objectifs lors de l'entretien annuel d'appréciation, création de nouvelles fonctions de remplaçant permanents, plein de qualité partout mais sans qualité dedans, des commissions de suivi après réorg qui se suivent et se ressemblent, des managers hors-sol etc ... 
Et la hiérarchie qui psalmodie toujours : "Si ça ne vas pas c'est parce que les factrices et le facteurs ne s'adaptent pas assez vite".
"Inadaptés" : dur à entendre pour les plus anciens, d'ailleurs ceux-là ne pensent qu'à prendre leur retraite ne reconnaissant plus l'administration dans laquelle ils sont rentrés.
Et pour tous, face à ce broyage de leur quotidien, des réactions plus que de la réflexion. Des ruses, des astuces, de l'abnégation, du déni ... toujours seuls, isolés. Et les mauvais penchants refont surface et la culpabilisation du voisin n'est jamais très loin !
De loin en loin quelques luttes collectives ralentissent l'inexorable, soubresauts épidermiques sans lendemains ...
Et pourtant, face à la froideur des tableurs, des rayons percent ce ciel noir et froid. Des factrices et facteurs qui font grève pendant des mois entier et qui gagnent ! Des usagers qui revendiquent un bureau de poste et non un simple guichet dans une supérette ou un coin de bureau dans une mairie. Les rayons percent par dizaine, le grand ciel bleu n'est peut-être pas si loin !
Peut-être bien que c'est d'utopies qu'il manque tout simplement aux postie.re.s pour avoir comme horizon autres choses que ce que proposent les patrons.
Imaginons des coopératives de facteurs.
Imaginons des bureaux de poste qui deviennent de vrai lieux de vie.
Imaginons des centres de tri qui se donne comme mission d'assurer l'impression (en plus de la distribution) de toutes les presses demandeuses.

2017 Imaginons …

Écrit 9 :

– Quel a été notre rapport au travail jusqu’à aujourd’hui?

J’ai 47 ans, j’ai fait mon service militaire de 18 à 19 ans et je travaille depuis.

J’ai été machiniste pour une société de sonorisation, garçon de salle en bloc opératoire et en service d’urgence, aide soignant auprès des personnes âgées et des handicapés mentaux, moniteur d’atelier dans un centre d’aide par le travail, logisticien et référent en prévention et sécurité dans un bureau d’étude en archéologie préventive.

Peu à peu, mon rapport au travail c’est dégradé. C’est un long processus dans lequel j’ai eu de plus en plus de mal à accepter les ordres de la hiérarchie, souvent en contradiction avec mes valeurs, dénués de sens, voir paradoxaux.

Le travail a fini par me faire souffrir moralement, je me suis senti seul. Chose que je n’aurai jamais imaginé, mon rapport au travail a affecté ma sphère familiale. J’ai dû faire une pause. Suite à une rupture conventionnelle de mon contrat de travail, je suis au chômage, mon esprit est libéré, je vais beaucoup mieux, je suis moins énervé et plus disponible pour ma famille.


– Qu’attendons-nous aujourd’hui de notre « travail »?

Pouvoir pratiquer une activité qui ai du sens, travailler en équipe, remettre en cause les pratiques me former et gagner suffisamment ma vie pour ne pas compter chaque semaine l’argent qu’il nous reste pour finir le mois. Je suis contre le système du profit, contre l’enrichissement personnel et contre le système néolibéral. De notre retraite? Voyager, rencontrer d’autres peuples, d’autres manières de vivre et de manger.

– De notre activité ?

D’après Virginia Henderson, l’activité est un des 14 besoins fondamentaux de l’être humain. J’ose imaginer qu’on arrivera à sortir de ce système politique et financier pour se mettre à parler d’activité et non plus de travail.


– Ou de notre chômage?

Qu’il me permette d’imaginer un autre possible, d’être avec les autres sans compter continuellement mon temps. J’ai découvert le travail non rémunéré.


– Quel est notre rapport à l’argent?

Compliqué, selon moi, l’argent retire la capacité de chacun à s’organiser, il individualise le rapport à l’autre et au monde, tout s’achète. Il induit chez l’être humain une grande contradiction et efface la capacité à vivre ensemble.

– En gagne-t-on?

Oui, un peu.

– Si oui, pourquoi faire et d’où vient-il?

Il provient de notre travail, même si on est au chômage, puisque ce que nous versent les ASSEDICS est calculé en fonction de ce qu’on gagnait en travaillant. Si non, comment ça se passe? Plusieurs paramètres déterminent une vie sans argent :

  • le contexte de vie (citadin,  rural)

  • la connaissance du milieu dans lequel on vit

  • la capacité d’adaptation au milieu

  • l’éducation

  • le système d’aide communautaire

  • le réseau communautaire

  • la famille

  • j’en oublie surement.

Écrit 10 :

Prenons le temps

Je n’ai jamais le temps de tuer le temps et pourtant j’aimerais tellement ne rien faire, juste laisser du temps au temps libre, sans tache, sans objectif, sans contrainte, se laisser porter et se laisser vivre.

Il faut que je gagne du temps, il faut que je me libère du temps parce qu’il ne me reste jamais assez de temps pour faire ce dont j’ai envie. Je veux plus de temps parce que je veux pouvoir faire, agir par moi même car le temps privé semble se heurter au temps professionnel.

Le travail me prend énormément de temps alors je tente de l’optimiser, je fais un emploi du temps, je divise par mois, jours, heures et j’organise, je planifie pour mesurer le temps qu’il me reste, ce dont je dispose comme bon me semble, pour qu’il arrête de prendre autant de mon temps.

Je me représente bien le temps, je le visualise dans un espace de l’esprit, une frise, un planning, un calendrier, cette représentation est si naturelle, si mécanisée. C‘est un travail d’appréhender le temps pour que son organisation, sa répartition me soit satisfaisante, acceptable, tolérable. Pourtant, il me semble qu’il m’échappe, qu’il me file entre les doigts, qu’il s’impose à moi, que les compromis temporels sont hors de contrôle mais s’agit-il du temps en soi ou de mon rapport au temps ? Certainement les deux…

Comment est ce que je compte le temps, mon temps de travail salarié, mon temps personnel, mon temps familial, mon temps de détente, mon temps conjugal, mon temps amical, mon temps de loisirs, etc. ? Comment je me représente le temps ? Est-il linéaire ? Est ce que différents temps ne se superposent-ils pas et viennent brouiller les frontières entre les temps ?

Est ce qu’il n’y a pas un calcul du temps qui s’impose et qui oriente notre vision de la réalité du temps ? Comment est-il vécu et pratiqué entre une représentation dominante, systémique et ce que l’on en vit ?

J’ai tendance à sectoriser, à diviser, à fragmenter, comme une bonne incorporation des mécanismes sociaux et économiques les plus basiques, je divise mon travail et je le hiérarchise. Il apparaît donc linéaire, les heures se succèdent avec des taches qui s’accumulent et qui se ritualisent du lever au coucher mais toutes n’ont pas le privilège d’être inscrites sur l’AGENDA. Je mange, me douche, nourrit le chat, sort les poubelles, rince le bol de céréales et note qu’il faut racheter du thé ; l’ensemble de ces taches, toutes ces activités participent à ce que tout ce petit monde, c’est à dire le mien et celui dans lequel plus globalement je m’inscris, fonctionne de manière assez optimale pour la réalisation de l’activité centrale, celle qui est planifiée, celle qui est légitimement notée sur mon AGENDA, ce travail qui a une valeur, une reconnaissance visible, réelle, reconnue, légitime, celle sanctionnée par un contrat de travail.

Qu’est ce qu’il en est de l’ensemble des activités qui sortent du champ de mon contrat de travail ? N’ont-elles pas de valeurs ? Ne peuvent-elles pas être qualifiées de travail ? Et si non, pourquoi ? Elles ont bien évidemment de la valeur pour moi, pour certaines elles garantissent un état de bien être minimal, pour d’autres elles sont l’expression d’un choix libre d’utilisation de mon temps mais plus largement l’ensemble des activités révèlent une interdépendance et même une imbrication. Je cherche donc à garantir leur succession : mon travail salarié me permet d’obtenir les ressources économiques pour pouvoir me nourrir et le temps quotidien limité-délimité du travail salarié m’offre quelques heures pour faire « ce que je veux » au-delà de manger, dormir, me laver. Quelle chance, je peux donc bouquiner, échanger, composer de la musique et regarder une série quelques heures par jours.

Si je regarde d’un peu plus près cette organisation, toutes les activités se mesurent et se qualifient en fonction du travail valorisé socialement, qui reste l’étalon autour duquel se structure le reste des activités. En allant plus loin, je constate que ma manière de compter le temps d’activité n’est pensée qu’à travers cette sectorisation du travail (une tache= une durée) alors que j’observe différents temps où je peux effectuer en parallèle plusieurs activités (lorsque je lance mon repas du soir et que je me fais couler un bain dans lequel je vais bouquiner quelques pages, j’effectue trois activités en parallèle, il y a donc trois temps sur une même durée).

Dans cette logique, le temps jusqu’alors invisible car non quantifié et non valorisé prend une toute autre dimension. Il existerait donc une méthode d’appréhension du temps qui se base sur un temps dominant qui lui même est déterminé par l’activité légitimé auquel il se rapporte. En ce sens, la variation dans la caractérisation de la valeur de l’activité (légitime/illégitime, reconnue/ignorée, visible/invisible, rémunérée/gratuite, publique/privée, professionnelle/domestique) vient influencer la reconnaissance par soi et par les autres de la qualité et de la quantité du temps qui lui est accordée. On observe aisément que l’organisation de la division du travail/de l’activité vient conditionner la valeur du temps. Cette division du travail questionne donc les frontières entre temporalités.

Lorsque l’on se penche brièvement sur la division sexuée du travail et que l’on observe les activités qualifiées de domestiques telles que l’entretien d’un domicile, le soin aux enfants, etc. et les activités professionnelles largement féminisées telles que l’aide à domicile, le soin à l’autre, etc. alors les frontières de temporalité apparaissent plus floues et par cela les délimitations du personnel et du professionnel se révèlent plus poreuses. Les effets sont multiples tant au niveau des représentations du temps et du travail qu’à leurs usages (amplitude temporelle plus longue, non caractérisation de ce qui relève du travail concret et du travail abstrait, reproduction et imposition d’un rapport au temps dominant et masculin, etc.). Envisager un rapport genré au temps peut donc apparaître l’entrée pour envisager un rapport au temps en soi (systémique) qui nie et dépossèdent les vécus et les usages pour mieux imposer un ordre dominant d’organisation du temps et du travail rentabilisé.

De ce constat, je comprends donc plus facilement pourquoi je me sens perdre mon temps, qu’il m’échappe et qu’il me file entre les doigts, il ne s’agit pas tant de continuer à chercher à le mesurer et à la quantifier mais bien plus à le qualifier en cherchant à comprendre dans quelle logique d’organisation et de division du travail il s’inscrit…

Écrit 11 :

Retour sur les vendanges

Les ceps sont feuillus, les grappes abondantes et le raisin sucré. Le soleil offre ses saveurs au gamay. La cuvée 2014 promet d’être bonne. Nous sommes une petite quinzaine de coupeurs réunis dans le beaujolais pour les vendanges.

Nous commençons la journée par un café et des tartines de confitures maison. Les repas de midi sont cuisinés par l’épouse du vigneron. Nous mangeons copieusement de la charcuterie et du rôti, des légumes du potager et du fromage, le tout arrosé de vin. A chaque pause, on se donne du courage à grande lampée de rosé. Dans les rangs, on entonne du Brel et du Brassens à tue-tête. Certains se lancent dans des chansons paillardes. Les premiers à finir vont aider les autres. La journée se termine autour d’un gâteau et d’un petit verre.

Je dis ‘nous’ et ‘on’ comme une vérité générale, comme s’il était établi que nous mangions tous ensemble à midi ou nous désaltérions tous au beaujolais. Les différences sont pourtant marquées. Les vendanges, c’est un peu un microcosme de la société, avec ses échanges, sa convivialité et sa bonne humeur mais aussi aussi l’incarnation de toutes les imbrications des rapports de classe, de race et de genre. Notre rencontre ressemble à un mille-feuille où se superposent les histoires de vie, des trajectoires qui se recoupent et s’éloignent, des rapports de domination et d’oppression. Après plusieurs mois dans l’entre-soi des milieux militants, je vis ces dix jours comme un choc, parfois surprenant, souvent terrifiant.

La ségrégation est établie et acceptée.

Les rapports de classe sont édifiants. Nous mangeons séparément. Dehors, avec leurs gamelles, se retrouvent les prolos* et les étrangers* du coin. Chômeurs de longue durée*, africains*, musulmans*, ils prennent leurs repas ensemble. Pour 9€, les autres mangent à l’intérieur, autour d’une grande table. D’un coté, les hommes, de l’autre, les femmes. Deux fêtards** monopolisent systématiquement la parole et parlent très fort. Échauffés par l’apéro, ils s’appliquent à amuser le reste des troupes, notamment deux autres hommes qui rient à chacune de leurs blagues. Le vigneron et ses assistants discutent boulot. Les femmes se font discrètes. Les discriminations de genre passent inaperçues. Nous sommes cinq femmes. Deux sexagénaires*, une quinqua*, une femme d’origine africaine* et moi, trentenaire. En plus de comportements paternalistes (« bonjour jeune fille !», « comment va la clarinette ? », « laisse donc ton seau, je vais le porter »…), je suis régulièrement la cible de boutades et de commentaires. Je ne me démonte pas et me montre particulièrement agressive. On me fait comprendre (évidemment!) que c’est de l’humour. Les blagues entendues « ne sont pas méchantes », les comiques ont « un bon fond ». Il ne faut pas les « prendre au premier degré». On m’explique aussi que les plaisanteries me sont destinées car je suis « la seule femme » (sic !). Trop vieilles ou pas assez blanches, mes comparses perdent leur statut. L’arrivée de vendangeuses tchèques* changent la donne. Les deux filles ne parlent pas français mais subissent les surnoms réducteurs1, les interpellations et des commentaires désobligeants. Un fêtard amuse ses collègues en racontant sa nuit de baise arrosée avec l’une d’elle2 .

Le sexisme est acceptable.

L’homosexualité féminine vs les tapettes

Je suis surprise de l’acceptation apparente de l’homosexualité. Le premier jour, un camarde me demande si j’ai « un copain…ou une copine ». Le lendemain, un fêtard ne cille pas quand je lui explique mon projet de vie avec ma compagne, Plus tard, il me parle de « …euh…mon orientation », maladroit mais sans préjugé. C’est encore lui qui me surprend en évoquant le plaisir de la pénétration anale. Alors que des plaisanteries sur la sodomie circulent, je tente une provocation: « tu en parles si bien que tu dois savoir à quel point c’est agréable ?! ». Il répond, ô surprise, que l’homme qui n’a jamais éprouvé de plaisir en se faisant sucer, un doigt dans le cul, a raté sa vie ! Mais c’est aussi à lui que je demande de définir le mot ‘tapette’ qu’il emploie à tout va. Il s’emporte, est insultant, et me rappelle qu’ « une tapette, c’est une fiotte, un pédé, un enculé, un mec faible quoi…un peu comme françois hollande ».

L’homophobie est acceptable.

« Tout le monde se drogue »

En plus de l’alcool, fourni pas le vigneron, le cannabis circule très librement. Avant de commencer la journée, en apéro et pendant les pauses, il annihile la douleur et réchauffe les cœurs. Je suis étonnée par sa complète banalisation…Quand l’épouse du vigneron finit par apprendre que des substances psychoactives circulent dans ses vignes, elle est choquée et demande des noms. Son gendre, provocateur, se fait une joie de lui répondre que « tout le monde se drogue ». Cela n’est pas sans renforcer l’image de marginaux qu’elle a des vendangeurs. Somme toute très cordiale, mais obstinément coincée dans sa bonne morale et ses carcans catholiques, les vendanges sont pour elle un mauvais moment à passer. Quand je finis par lui raconter les actes violents et racistes qui ont eu lieu dans les vignes, elle suggère à son mari de ne pas s’en mêler. « C’est ce qui arrive quand trop de marginaux sont réunis ». Elle stigmatise plutôt l’un de mes collègues, vendangeur efficace et sympathique, à qui elle reproche d’être un pilier de comptoir.

Le classisme est acceptable.

Qu’est ce qu’être français ?

Les questions de race sont omniprésentes pendant ces dix jours. Pour déterminer les solidarités entre dominés, les faits doivent être établis. A chaque personne qui ne ressemble pas à un autochtone, il est demandé son origine. Le premier jour, à la recherche d’alliance, mon collègue guinéen me prend à part et me demande si je suis africaine. Je retrace mon arbre généalogique. Je ne suis pas africaine mais serai quand même considérée comme « une soeur ». Mes cheveux frisés et mon teint bronzé font aussi tiquer la cuisinière qui fait une petite moue politiquement correct quand je lui explique que je ne mange pas de viande. Elle y voit peut être le signe d’une confession musulmane. Les questions d’identité sont posées. Qu’est ce qu’être français ?

Dialogue entre deux vendangeurs, l’un blanc et l’autre noir : – Tu viens d’où ? – de Tarare. (ville à coté de Lyon)

– D’accord, mais de quelle origine es-tu ?

– Française, pourquoi ?

– Parce que tu es noir.

– Et alors, parce que je suis noir, je ne peux pas être français ? Tu es raciste ! (sur le ton de la plaisanterie)

– Pas du tout, même un africain pourrait te demander ton origine. Alors es-tu antillais ou bien africain ? (Ceci n’est pas le fait de l’homme blanc, mais de l’homme curieux, j’insiste, en tant qu’homme noir, tu as forcément une origine particulière// différente!)

– Je viens de la Martinique. (je suis donc français et noir)

En croyant être solidaire des luttes postcoloniales, l’homme blanc uniformise et fixe l’identité française, souligne la différence et la stigmatise. Être français non-blanc nécessite une justification. Plus troublant encore, cet homme qui se déclare antillais est en fait d’origine congolaise. Nous nous enfonçons un peu plus dans les méandres du racisme intégré.

Violences raciales

Racisées ou discriminées, toutes les personnes noires endurent très largement le racisme durant ces dix jours. Les agressions verbales (et l’occupation de l’espace « D., je t’ai déjà dit que tu parlais trop et que tu ferais mieux de te taire ») se transforment, le dernier jour, en menace. Avec sa mine patibulaire et fatiguée, les yeux exorbités et de la bave au coin de la bouche, un fêtard hurle que s’ils sont racistes envers les blancs, les noirs doivent « rentrer chez eux », « qu’on ne leur a pas demandé d’être là ». Quand j’exige qu’il se calme, il me menace. Personne ne réagit à ces propos racistes et violents.

Plus tard, à la recherche de soutien et de solidarité, j’interpelle mes camarades vendangeurs. Leurs réactions sont décevantes. Les privilèges postcoloniaux ne sont pas questionnés par les bienpensants.

• Première réaction : « C’est vrai que D. était assez énervant ces derniers jours, à toujours faire des petits commentaires désobligeants à propos des colonies».

• Deuxième réaction : « il n’a pas tout à fait tort, c’est vrai que les arabes et les noirs ont tendance à se poser en victime et à toujours se plaindre de racisme ».

• Troisième réaction : « on ne peut pas nous reprocher, à nous, le temps de la colonisation. C’était l’époque de nos grands-parents. C’est comme si on en voulait encore aux allemands d’avoir fait du mal à nos familles. Nous sommes passés à autre chose, heureusement ! ».

Des stéréotypes et jugements portés à l’encontre d’une personne sont généralisés à d’autres. D. perd son individualité et devient le représentant de toute une catégorie sociale: les noirs. Comme tous les dominés se ressemblent et se valent, les arabes sont aussi inclus dans cette analyse. Les imaginaires de nos rapports sociaux sont emprunts de relations historiques aliénantes.

Le racisme est acceptable.

On se retrouvera peut être l’année prochaine.

Le dernier jour dans les vignes est tendu. Nous finissons rapidement de vendanger. Nous nous retrouvons autour d’un verre de paradis, recevons notre chèque et nous quittons précipitamment. Les rapports de classe, de race et de genre de ces dix jours sont un triste état des lieux de la politique de nos relations. Les différences, construites socialement, sont une relation entre les privilégiés, ceux qui entrent dans la norme, et les individus des groupes minoritaires, assignés à une place à la fois imposée, subordonnée et dévaluée. Pourtant, contre « l’universel » homogéneisant, c’est bien le « diversel » qu’il faut déployer. De l’égalité réelle naissent le libre arbitre, l’étendue des choix et des opportunités et donc les différences. Que ces singularités interagissent, se frottent et s’entrechoquent pour décloisonner nos relations. C’est dans ces interstices que naîtra notre audace à changer.

On se retrouvera peut être l’année prochaine.

* Loin de moi l’idée de réduire mes collègues à une identité figée. Pour sur, nos identités sont plurielles et changeantes. Je parle plutôt d’identité visible (l’âge ou la couleur de la peau), de rôles et de statuts et suis influencée par une lecture socio-historique de la situation.

** J’ai eu plus de mal à qualifier ces deux bonhommes. Fêtards pour ne pas dire blancs, quadragénaires, ouvriers en intérim, pères de famille, venant d’une région industrielle sinistrée. Fêtards parce qu’ils se sont eux-mêmes définis ainsi : les vendanges seraient une bonne occasion de picoler gratuitement et de faire la fête au camping.

1 Bibiche, il paraît que c’est sympa

2 J’espère qu’en tchèque elles se racontent qu’il bande mou.

28 juillet 2017 Courant d'Arrachement

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