Fable

J’écris comme ils attendent que j’écrive, je parle comme ils souhaitent m’entendre parler, je m’exprime sans réellement m’exprimer. Ils contrôlent mes croyances, ils inhibent mes ambitions, ils m’étouffent de flatteries puis de promesses d’un avenir utopique… Devenir l’un d’eux, ou « rien » ? Dans ce tourbillon d’indifférence à l’égard de l’autre, cet autre qui n’est que concurrence, ambition contraire ou prétendants, je me perds et me laisse aveugler. Finalement je désire, je me force, je m’angoisse et me bloque ! Nulle pensée n’arrive à naviguer à travers moi. Plus rien ne me transcende. Je me sens vide, échouée et dépossédée de mon être.

Il rit de la situation. Il jouit de cette absence d’isonomie. Il se nourrit de ma colère, de ma présence, de mon langage aspère. Il interdit, il théorise chaque geste et parole d’importune, m’objective et me fige, m’étouffe par son dédain. D’un revers de main il m’écarte, gesticule et ose dire :

« C’est à moi de te dire ce que tu es, j’ai le droit de te forcer, te fabriquer, te soumettre à mes exigences, à l’avenir que je te vois, te construis et t’inculque. Tu es mon objet, mon projet, mon expérience. Je t’ai donné, tout appris, comme une chose que l’on rempli, tu n’es en fait que mon produit. Je suis le père fondateur de tes gènes d’intellectuelle infirmée. Je suis ton géniteur, ton prophète, le créateur de ta vie d’internée ! Pour une femme de rancœur quoi de pire à ton heure que d’accepter enfin, de périr pour mon leurre ? »

Il venait de m’apprendre en un terme, une sentence que je n’étais qu’une fille, une fillette d’outrance. Ma pensée comme une ombre, un fantôme sans constante entrepris avec honte de dépasser ce ponte. La colère me prit, la violence d’une envie, celle d’être aujourd’hui !! Je suis, je n’ordonne pas, je suis, je n’obéis pas !

«  Tu me suis ? J’en suis ravi ! N’en parlons plus, j’ai trouvé à te marier avec un autre que je connais. Il te faudra lui sourire, le ravir et servir. C’est le prix à payer pour un poste assuré.»

De fillette effarouchée, je venais de passer à épouse forcée avec pour seul projet de poursuivre sa lignée. Mais moi je veux créer ! Je ne veux pas reproduire sans arrêt !

«  Tiens me serais-je trompé ? Mon produit féminin aurait-il finalement un cerveau masculin ? »

En un éclat de rire il referma la porte du bureau, me laissant comme issue l’unique fenêtre d’une toute petite pièce. Et je suis restée là, sans bouger, sourciller. C’est à peine si j’osais encore respirer. Une bouffée d’oxygène, vite, de l’air ! Je sors en trombe et puis tombe, m’emmêle les pieds dans mes fils de pantin de bois dénaturé. Tout au bout du couloir il regarde l’œil brillant ma personne déchoir, mon âme dérisoire. En un seul coup de ciseau je m’extirpe, je me glisse vers une mince sortie. D’cette évasion ridicule je garderais en mémoire la seule phrase qu’il a eue comme dernière arme de choix pour m’briser ici-bas :

«  Tu as choisis de me fuir hors du monde, pour aller là d’où tu n’existeras pas !!! »

Inversion de choix, car de là je le vois, je l’observe et affirme qu’il n’aura plus de poids ! Enfin libre, je le crois, de vivre de ma voie-x ! Nulle légitimité, nul poste, nul statut social ne pourrait m’apporter l’oxygène insufflé par la recherche constante de ma libre pensée.


Publié

dans

par

Étiquettes :