L’autocritique fait-elle plus de mâle que de bien?

Qu’est ce que nous coûte l’autocritique ? Est ce qu’elle nous coûte la même chose ? Est ce que certaines sont plus douées que certains ? Est ce que l’autocritique est le gage du bien ?

L’autocritique implique de l’écoute car elle implique de croire dans le discours de l’autre. Croire dans son ressenti, sa perception et donc croire dans la possibilité d’avoir fait erreur soi même dans la manière dont nous, nous l’avons ressenti.

Depuis plusieurs semaines j’autocritique ma posture de formatrice lors d’une formation où il s’agissait de débusquer des stéréotypes de genre dans une organisation syndicale. Lors de cette formation, des femmes ont posé des vécus sexistes et les ont proposés au mouvement commun en se mettant en interrogation sur le malaise ressenti et les raisons du malaise. Ces situations impliquaient parfois des personnes présentes et notamment des hommes présents. A la sortie de la formation, les participant.e.s ont été unanimes pour signifier la violence de la journée. La responsabilité des violences est apparue très différente suivant les personnes toutefois la posture des « formatrices » a été critiquée (absence de neutralité, trop de complaisance, manque d’apport, pas de rappel du cadre, etc.)

J’ai posé par écrit des points de bascule quelques semaines plus tard au détour d’une formation sur la posture de formateur.trice. Je me suis engouffrée dans l’autocritique « professionnelle » sur les compétences, les techniques de formation, arrivant à différents éléments d’explications :

Avec mes comparses formatrices nous n’aurions pas réussi (ou trop tard) à diagnostiquer où les participant.e.s se situaient par rapport à ces questions, certains trop loin en arrière et d’autres trop loin devant avec des niveaux d’attentes différents.

Le fait de ne pas maîtriser le niveau d’interconnaissance des participant.e, cela ne nous a empêché de caractériser sur le moment les mécaniques du groupe qui se jouaient. Nous doutions trop de nos observations sur le moment et nous manquions de confirmation de nos intuitions donc nous n’avons pas sanctionné et verbalisé le poids de cette interconnaissance durant la formation.

Enfin, nous aurions perdu « la voix principale » qui était celle de la mise en interrogation des manières d’agir, de penser via un mouvement collectif et commun. Cela impliquait notamment d’accepter que chacun.e se voit retourner les questions sur lui-elle même pour nourrir le questionnement et la réflexion. Malgré l’énoncé de cette voix principale, nous nous sommes faites happer par un centrement narcissique qui n’a jamais donné lieu au décentrement.

Cette autocritique professionnelle est très clairement insatisfaisante car elle fait fi de l’action politique qu’est par essence la formation pour débusquer les stéréotypes de genre dans les organisations. Cette autocritique professionnelle oublie la logique même de l’existence et la persistance des violences sexistes dans les organisations et qui plus est dans les organisations militantes, politiques, syndicales, etc. Cet angle d’analyse occulte le fait que ces organisations s’inscrivent dans un paradoxe (je veux être un.e combattant.e du sexisme mais je veux survivre coûte que coûte) ce qui les rend particulièrement malades et donc enclines à mobiliser tout une médication pour éradiquer les maux de la maladie et non la maladie elle même.

Cette médication nous l’avons vue à l’œuvre, sans finesse, sans surprise, comme nous l’avons déjà observée à différentes reprises. La typologie de la négation de la maladie qu’est le sexisme structurel des organisations s’expose point par point et chacun se charge brillamment d’en être le garant avec pour objectif principal l’abolition de sa responsabilité dans l’existence des violences sexistes:

Etape 1 : se justifier en expliquant que son intention n’étant pas celle de produire des violences de sorte que la moindre responsabilité s’envole. Il s’agit de rester centrer sur soi même avec la volonté de donner du sens uniquement à son action. Cette posture invisibilise et nie la perception de l’autre quant à l’action. Elle délégitime le ressenti de l’autre notamment quand la justification est la réponse immédiate à l’expression de la personne qui signifie un vécu de violence.

Etape 2 : se victimiser en mettant sur un même pied d’égalité une violence individuelle résultant d’une mise en cause personnelle et une violence systématique qui s’appuie sur les outils de diffusion, de légitimation de tout un système social, économique et politique (ses institutions).

Etape 3 : disqualifier moralement, politiquement, professionnellement ou psychiquement la position défendue ou portée par les personnes qui témoignent, qui osent parler, qui demandent des explications, etc (« elle est trop émotive », « elle est folle », « il est sous sa coupe », etc.).

Etape 4 : Rallier/remobiliser les cadres institutionnels/légitimes pour exiger un positionnement d’arbitrage et être réhabilité. Il s’agit par cela de faire appel aux cadres structurels dans lesquels nous avons l’habitude d’être légitimés qui sont également ceux grâce auxquels le sexisme structurel continue d’exister.

Etape 5 : Mobiliser la posture du « sachant » en empruntant une figure plus rationnelle, plus objective, plus distanciée en opposition au registre de l’émotionnel, de la spontanéité, du sensible, du subjectif qui lui serait renvoyé à une immaturité intellectuelle.

Etape 6 : Prescrire la bonne conduite à tenir, l’issue réflexive pour se sortir de la situation telle qu’elle a été posée par les personnes ayant signifié leur vécu de violence. Cette issue réflexive apparaît dans un autre champ que celui proposé par les personnes ayant exprimé des violences (« vous devriez faire… », « vous devriez lire… », « vous devriez vous interroger sur vous même… », etc.)

Etape 7 : S’approprier la cause et ainsi s’auto-caractériser comme faisant partie de la cause, agissant dans le plus grand respect et la plus grande loyauté pour la cause. S’auto-caractériser dans ses qualités de « soldats » de la cause et ainsi annuler toute forme de remise en question possible de sa posture et de son positionnement (par exemple, faire état de « ses faits d’arme » pour la cause) et par la même disqualifier les autres dans leur appartenance « juste » à la cause.

A posteriori, la mise à plat nous donne les indices pour comprendre que nous n’étions plus dans le cadre d’une formation mais qu’il se jouait dans cet espace le sexisme systémique et que nous en étions au minimum des témoins et plus réellement des victimes. Nous avions à l’œuvre une tension où la mise à mal d’un système à bout de souffle, mis au pied du mur car il venait de se faire débusquer, l’obligeait à exposer tout son système défensive bien huilé, stocké au chaud et prêt à l’emploi.

L’autocritique professionnelle apparaît donc bien inadaptée dans ce contexte pour autant faut-il abandonner l’autocritique et adopter la posture plus manichéenne du combat front contre front ? Dans un conflit où certains ont les armes d’un système et d’autres ont la puissance des chaînes brisés comme l’indiquait Audre Lorde « on ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître » mais certainement davantage avec nos propres outils.

Nous avons un avantage indéniable, le système a crée cette bombe à retardement en nous, l’autocritique qui nous affaiblit par la mise en doute systématique, la culpabilité, la dépréciation de ce que nous sommes est aussi la force pour s’écouter les un.e.s les autres et tracer la ligne de ce que nous projetons pour notre suite.

Cette situation a fait naître une volonté de justice, il ne s’agit pas d’une justice punitive, il s’agit d’une justice pour la reconnaissance de ce que nous sommes, de ce que nous vivons, de ce dont nous parlons. L’autocritique de notre positionnement politique est salutaire car elle permet d’identifier nos difficultés à garantir les besoins des victimes de violences sexistes exposés par Ruth Morris.

Le centrement des protagonistes sur leur auto-justification a mis à mal la possibilité d’obtenir des réponses sur les faits. Une partie des participant.e.s ont reconnu les préjudices subis mais les personnes mises en cause ne l’ont pas fait. La sécurité des personnes qui ont signifié les violences vécues n’a pas été garantie car elles ont dû essuyer l’arsenal défensif et offensif des mis en cause. Enfin, la place occupée par la diatribe défensive/offensive a étouffé et a invisibilisé les temps dans lesquels il a été possible de donner du sens à ce qu’elles ont subi.

Cette autocritique, elle se porte aussi sur le rôle de chacun.e et notre silence collectif mêlé à notre gestion individuelle de notre souffrance. Le compte instagram « Paye_ton_sexisme_militant » publiait hier une analyse critique de leur participation au « Climate Justice Camp 2021 » et notamment de l’annonce d’une intention de penser et de faire vivre l’intersectionnalité au sein du camp et de son échec partiel dans les faits. Deux phrases m’ont particulièrement interpellée et on nourrit cette réflexion sur l’autocritique et l’analyse de cette situation de formation : « Ce n’est pas parce qu’une place est disponible qu’elle est pour vous » […] « Il y a des règles, des conduites à tenir et chacun est responsable de les suivre et de les faire suivre ».

Dans cette situation il s’agit de femmes blanches qui n’ont pas questionné la place qu’elles occupaient et comment cette place « libre » occupée par elles entravait la possibilité que des femmes racisées l’aient.

Cette réflexion m’a fait dire que nous devons nous éduquer à faire valoir les places libres qui reviennent à chacun.e, nous avons été mis.e.s en échec car, même pour nous même, nous n’avons pas réussi à nous garantir la place disponible. Elle a été prise car quelqu’un l’a vue libre, pour lui (comme habituellement) donc il l’a prise, il a occupé l’espace, notre temps, nos récits, notre justice. Pour autant, nous étions bien plus nombreux.ses et nous étions tou.te.s responsables des règles et des conduites à tenir. Si nous avons été mis.e.s en échec hier, faisons notre autocritique politique pour que demain que ce soit pour nous ou pour d’autres, nous garantissions que les places qui doivent être prises pour le bien de tou.te.s soient prises par certaines !


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