11 mai 2020, pas de retour au travail pour moi

Aujourd’hui 11 mai 2020, c’est le retour au travail et beaucoup ont regagné leur poste. Pas moi.

Juste avant le confinement, j’étais physiquement et psychologiquement épuisée. Je me disais ‘Il faut que quelque chose se passe sinon je vais tomber malade ».

Depuis plus d’un an, suite à mon congés maternité, je travaillais officiellement à 80 % mais en réalité, je luttais semaine après semaine pour caser 5 jours de travail dans 4, au prix d’un rythme effréné et d’accumulation d’heures supplémentaires…

S’ajoutèrent les grèves du mois de décembre de la structure d’accueil de mes enfants qui furent un véritable casse tête quotidien de recherche de solutions bricolées de garde afin que je puisse être disponible au travail.

Et l’année 2020 se poursuivait sur ce même  rythme impossible…Alors oui, je l’avoue, l’annonce de la fermeture des crèches/écoles, le confinement et la mise en place de « l’arrêt garde d’enfants »….pour moi ce fut une bénédiction!

Je ne quittai pourtant pas mon entreprise dés le 16 mars pour deux raisons:

-d’abord parce que je voulais faire le point de tous mes dossiers afin de faciliter la tache de mon employeur et de mes collègues- qui poursuivaient l’activité car sans enfants à gérer,

-ensuite parce que j’avais perçu la crainte de mes collègues de poursuivre l’activité sans aucune mise en place de mesures d’hygiène et sécurité face au COVID : en accord avec mes collègues et avant mon départ, je fis donc office de porte parole auprès de nos employeurs afin que des mesures soient mises en place et que chacun puisse travailler sereinement. Ce qui porta ses fruits.

Puis je quittais l’entreprise le 23 mars, en arrêt garde d’enfant (donc payée par ma caisse d’assurance maladie) et là démarra une période de pur bonheur…! j’ai littéralement adoré cette période (et d’ailleurs je culpabilise d’avoir été aussi heureuse alors que pour d’autres c’était l’enfer) : j’ai pu souffler, prendre le temps,…sans pression et sans contrainte de timing et de planification, j’étais détendue et j’ai pu être comme je souhaite l’être avec mon compagnon et mes enfants. On pourrait mettre tout ça sur l’euphorie du début mais non, de jour et en jour c’était de mieux en mieux…Nous étions dans des rapports apaisés, tolérants, bienveillants, coopérants, égalitaires…alors qu’en temps « normal » nous sommes beaucoup plus dans la tension, le reproche, la critique, l’irritabilité, l’autorité, le rapport de force, l’impatience…

Cette période fut également l’occasion pour moi de poursuivre mes réflexions sur mon rapport au travail  en continuité de réflexions déjà amorcées notamment lors des grèves de décembre 2019 : j’avais beau retourner le problème dans tous les sens, le problème, c’était le travail ou plutôt le temps (excessif) que je passais au travail, toute cette énergie, toute cette disponibilité, toutes mes qualités humaines que je consacrais en priorité au travail et dont mes proches bénéficiaient tellement moins…(et moi, en bout de chaîne, encore encore moins…)

J’avais déjà conscience de tout cela avant cette parenthèse introspective, mais le confort financier, la stabilité d’un CDI et des relations hiérarchiques de travail plutôt agréables (comparé à beaucoup de salariés qui n’ont pas cette chance), faisaient que, jusque là, j’acceptais (mais de moins en moins) de sacrifier d’autres enjeux…Mais là, je sentais qu’il ne fallait pas que je rate le coche, je devais mettre en place des choses concrètes pour remédier à ce paradoxe : le jour d’après ne devait pas ressembler au jour d’avant et c’était maintenant ou jamais…Oui mais quoi ? comment ?

En attendant de trouver une solution réaliste (c’est à dire autre que gagner au loto), j’espérais une nouvelle mesure qui me permettrait de poursuivre cette parenthèse, et cette mesure arriva : l’école n’ouvra pas.

J’adressais donc l’attestation de fermeture à mon employeur.

Consciente des potentiels difficultés de trésorerie que pouvait éventuellement connaître mon entreprise (quoi que s’agissant d’une activité réglementée disposant d’un monopole…), je faisais plusieurs propositions à mon employeur :

– prendre tout ou partie de mes 5 semaines de congés en trop cumulés depuis plusieurs années (oui, je termine le mois de mai 2020 avec 10 semaines de congés acquis et/ou cumulés, à force de congés non pris…) puisque si j’ai bien compris, l’argent des congés payés est de toute façon bloqué et ne peut pas faire office de trésorerie pour l’employeur,

-prendre un congés sans solde,

-ou enfin poursuivre le chômage partiel (qui est le dispositif officiel dans cette configuration), mais qui, bien que remboursé par l’Etat, doit d’abord être avancé par l’entreprise au salarié

-j’indiquais que le télétravail me semblait inapproprié puisque seule avec deux enfants en bas âge, j’allais « couter plus cher à l’entreprise que je n’allais lui rapporter ».

En retour, mon employeur m’adressa un discours culpabilisateur, énumérant tout ce qu’avaient fait mes collègues (recherche de masques, de gel désinfectant etc) et que même « les maris venaient dimanche pour fabriquer les vitrines en plexi », que ce n’était facile pour personne mais que pour autant tout le monde s’y mettait…en gros que je n’étais solidaire ni de l’entreprise ni de  mes collègues…

Il suggéra que le papa (qui est entrepreneur individuel d’une toute petite structure activité parc et jardin donc juste en pleine saison en ce moment) travaille une semaine sur deux car il est je cite « parent lui aussi après tout »…

Donc en fait en résumé, là le monde du travail c’est :

– des salariés qui gèrent des mesures de sécurité incombant à l’employeur

-la famille des salariés qui donne de son temps à l’entreprise sur le weekend

– du coaching sur l’organisation privée et intrafamiliale des salariés

-de la culpabilisation lorsque le salarié souhaite l’application d’un dispositif légal spécifiquement prévu

-et bien entendu de la non reconnaissance

-et enfin, la mise en place d’une stratégie d’isolement de celui qui n’est « pas  suffisamment dévoué » couplé d’une valorisation des autres…diviser pour mieux régner…

J’ai beau savoir que je suis dans une autre grille de valeur, que j’ai déconstruit, en tout cas intellectuellement, de nombreuses choses par rapport au travail, j’ai beau savoir que les acteurs de ce système redoutable en sont également les victimes inconscientes, malgré tout, aujourd’hui, je me sens isolée, blessée de l’animosité de mes collègues qui ne me considèrent pas solidaire, et je suis culpabilisée du discours de mon employeur…..Objectif atteint pour mon employeur…

Je me sens dans un  » no woman’s land »….Alors, ….qu’est ce que je fais maintenant….Je me lève et je me casse ?


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